Source : Comment on écrit l’histoire par Paul Veyne, éditions du Seuil, collection Histoire, relecture après… très longtemps.
L’homme a-t-il donc
tellement besoin d’être roi ? Vaine question : l’homme a une
« volonté de puissance », d’actualisation, qui est
indéterminée : ce n’est pas le bonheur qu’il cherche ; il n’a pas une
liste de besoins déterminés à satisfaire, après quoi il resterait en repos sur
une chaise dans sa chambre ; il est animal actualisateur et il réalise les
virtualités de toute espèce qui lui tombent sous la main : « non
deficit ab actuatione potentiae suae », dit Saint Thomas.
Autrement dit, la
notion de désir veut dire qu’il n’y a pas de nature humaine, ou plutôt que
cette nature est une forme sans contenu autre qu’historique. Elle veut dire
aussi que l’opposition individu et société est un faux problème ; si l’on
conçoit l’individu et la société comme deux réalités extérieures l’une à
l’autre, alors, on pourra imaginer que l’une cause l’autre : la causalité
suppose l’extériorité. Mais si on se rend compte que ce qu’on appelle la
société comporte déjà la participation des individus, le problème
disparaît : la « réalité objective » sociale comporte le fait
que des individus s’intéressent à elle, la font fonctionner ; ou, si l’on
préfère, les seules virtualités qu’un individu peut réaliser sont celles qui
sont dessinées en pointillés dans le monde ambiant et que l’individu actualise
par le fait qu’il s’y intéresse : l’individu remplit les creux que la
« société », c’est-à-dire les autres, ou les collectifs, dessine en
relief…
On ne se dit pas : « Ainsi donc, je suis fils d’empereur et il n’y a plus de Sénat ; mais laissons cela et demandons-nous plutôt comment nous devons traiter les gouvernés » Non, on se retrouve roi sans même avoir eu le temps d’y penser, on est roi puisqu’on l’est et on se comporte en conséquence, « les choses étant ce qu’elles sont. »
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