Le Pétard !

 

Nous mourrons peut-être de faim, ma Véronique, et ce sera bien fait, sans doute, puisque tout le monde, excepté vous et Leverdier, me condamnera.

Coûte que coûte, je garderai la virginité de mon témoignage, en me préservant du crime de laisser inactive aucune des énergies que Dieu m’a données. Ironie, injures, défis, imprécations, réprobations, malédictions, lyrisme de fange ou de flammes, tout me sera bon de ce qui pourra rendre offensive ma colère ! Quel moyen me resterait-il autrement de n’être pas le dernier des hommes ? Le juge n’a qu’une manière de tomber au-dessous de son criminel, c’est de devenir prévaricateur, et tout écrivain véritable est certainement un juge.

Quelques-uns m’ont dit : « À quoi bon ? » Le monde est en agonie et rien ne le touche plus. Peut-être. Mais, au fond du désert, il faudrait, quand même, rendre témoignage, ne fût-ce que pour l’honneur de la Vérité et pour l’édification des fauves, comme faisaient, autrefois, les anachorètes solitaires. Est-il croyable, d’ailleurs, qu’une telle opulence de rage, m’ait été octroyée pour rien ? Certaines paroles du Livre sacré sont bien étranges… Qui sait, après tout, si la forme la plus active de l’adoration n’est pas le blasphème par amour, qui serait la prière de l’abandonné…

Léon Bloy : Le Désespéré


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