Ill. : Jérémie par Ilya Répine. Source : Apocalypses et cosmologie du salut par Pierre de Martin de Viviès, éditions du Cerf, collection Lectio Divina.
Les prophètes et les auteurs d’apocalypses ont en
commun de réagir à une situation historique porteuse de tension ou de crise. Un
de leurs objectifs est de donner à l’auditeur ou au lecteur des clés
d’interprétation de cette histoire leur permettant d’en comprendre le sens et
d’en envisager l’issue. Un premier point de contact entre ces deux domaines
reste la dimension de la révélation. Les auteurs d’apocalypses comme les
prophètes ont l’intention de transmettre à leurs destinataires des éléments
d’information qui ne proviennent pas de leur propre sagesse, mais d’une source
supérieure à la sagesse humaine. À travers eux, le destinataire peut avoir
accès à la sagesse même de Dieu. Mais ils opèrent cette révélation de manières
profondément différentes.
Chez les prophètes, le message est avant tout verbal,
et le prophète est lui-même le médiateur de la communication. Lorsqu’un oracle
commence par la formulation « Oracle du Seigneur » ou « Ainsi
parle le Seigneur », l’auditeur est averti qu’il entend à partir de ce
moment la parole de Dieu par la bouche du prophète. Le prophète est en quelque
sorte un canal qui permet une communication directe entre Dieu et les hommes,
entre le monde d’en haut et le monde d’en bas. Ce canal fonctionne d’ailleurs
dans les deux sens, et nombre de prophètes sont également des intercesseurs qui
font monter vers Dieu la prière des hommes.
Ce n’est que dans un second temps que la parole est
mise par écrit. Ce processus peut commencer du vivant même du prophète ou plus
souvent se mettre en place post-mortem, parfois au sein d’un groupe de disciples
ayant à cœur de conserver les oracles du maître. La conservation des paroles au
moyen de l’écrit est sous-entendue par la conviction que les paroles du
prophète concernent un public plus large que ses auditeurs contemporains, et
qu’elles peuvent avoir sens pour d’autres époques ou d’autres lieux.
En contraste, les auteurs d’apocalypses évoluent
d’abord dans le monde de l’écrit. Par le procédé de la pseudonymie, ils se
présentent comme des sages. Daniel est formé à la sagesse de la cour de
Babylone et surpasse en science et discernement tous les magiciens
chaldéens ; Hénoch est plusieurs fois désigné comme scribe et très
probablement, les auteurs réels apparaissent à l’univers des scribes et des
savants. Les apocalypses ne puisent pas seulement, et peut-être pas d’abord,
dans la littérature prophétique, mais bien aussi dans le domaine sapientiel. Là
où le prophète était invité à redire ce qu’il avait entendu, le voyant
d’apocalypse sera invité à écrire ce qu’il a vu.
L’auteur d’apocalypse se présente comme un observateur
qui, de par la volonté de Dieu, peut accéder à un domaine généralement
inobservable. La spatialisation de la révélation est conjointement modifiée.
Dans la littérature prophétique, le prophète reste dans le monde d’en bas et
c’est là que lui parvient la voix ou la vue de Dieu. Dans la littérature
apocalyptique, c’est au voyant de se déplacer. Que ce soit le mode du songe, de
la vision ou du voyage, il devient une sorte d’explorateur du monde d’en haut,
mais il ne procède à cette exploration que sur un mode essentiellement passif.
Il ne va que là où il a le droit d’aller. Il ne voit que ce que l’on veut bien
lui laisser voir. Le plus souvent, cette visite est strictement guidée par un
ange.
Cet ange n’est pas seulement un guide mais aussi un
interprète. En effet, la sagesse humaine de l’auteur, pourtant présentée comme
parfaitement opérationnelle dans le monde d’en bas, se révèle inadéquate pour
comprendre les choses du monde d’en haut. Le cas de Daniel est tout à fait
représentatif : il est capable de décoder sans difficulté les songes des
autres, mais il ne comprend rien à ses propres visions. Il faudra donc qu’entre
en scène l’ange interprète pour que la vision prenne sens.
L’ange devient l’interlocuteur du voyant. Dans les apocalypses, le voyant n’entre pas en communication directe avec Dieu. Il peut certes le prier mais la réponse à sa prière parviendra par la médiation de l’ange interprète. L’ange interprète exerce donc la fonction de médiateur entre l’homme et Dieu, alors que, dans la littérature prophétique, ce rôle est dévolu au prophète. Dans l’Apocalypse johannique, Jean entre en dialogue avec le Christ, mais pas directement avec le Dieu dont la présence se manifeste sur le trône de gloire. Ce contact avec le Christ débouche sur une parole à transmettre, non de vive voix, mais par écrit. Le Christ dicte les lettres aux Églises et c’est par ce vecteur écrit que le message parviendra aux destinataires.
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