Transmis par Academia.edu. Soudain, dans l’Octagon : les épreuves de Heinrich Khunrath à Erasmus Wolfart, par Peter J. Forshaw, traduction de l’anglais par Ènocint catwace, no copyright infringement intended.
On se sent toujours
parcouru d’un frisson particulier en pénétrant dans les archives : se
sentir entouré par l’esprit de tous ces auteurs morts, désincarnés, qui, tous,
vous pressent vers leur trésor, l’invention providentielle d’une œuvre oubliée.
Comment s’orienter
parmi les milliers de tomes qui hantent les étagères ? La question se pose
tout particulièrement en franchissant le seuil de la Bibliothèque Octagon,
créée par Hans T. Hakl. On se perd dans ses angles, contourne ses quinconces,
s’aventure dans les alcôves, avant de tourner le coin, puis un autre, toujours
sur le qui-vive comme si allaient surgir devant nous Thésée ou le Minotaure,
dans cette « étrange demeure de l’esprit » pour citer Borges. Pour
m’attirer dans ses collections privées, Hakl m’avait fait miroiter les
collections, ferrant à l’hameçon non pas un, mais deux exemplaires de L’Amphithéâtre
de la Sagesse éternelle (1609), par un de mes auteurs-fétiches :
l’alchimiste, mage, kabbaliste chrétien et théosophe Heinrich Kunrath
(1560-1605) ; cette découverte parmi le fonds de l’Octagon constitue le
point de départ de cet article.
Le mystique et
poète baroque allemand Quirinus Khulmann (1651-1689), familiers des visions
prophétiques et qui devait périr sur un bûcher moscovite pour hérésie, nous
présente le protagoniste de notre histoire : « cet homme
extraordinaire », Heinrich Khunrath, citoyen d’honneur de la ville de
Leipzig. En vérité, on ne sait pas grand-chose de lui, hormis qu’il s’inscrivit
à l’Université de Leipzig à l’âge de dix ans et qu’il obtint son diplôme avec
« la plus haute distinction » à l’université de Bâle en 1588, à l’âge
de vingt-huit ans.
Sa thèse
s’intitulait De Signatura rerum naturalium, Des Signatures des choses
naturelles ; elle constitue, pour son temps, un précieux modèle
d’étude médicale et académique sur les pratiques iatrochimiques de Théophraste
Paracelse (1493-1541). En fait, Paracelse avait enseigné dans la même
université bien avant Khunrath, en 1527, où il fut moins populaire.
Après l’obtention
de son diplôme, Khunrath voyagea à travers l’Europe où il rencontra un autre
personnage en délicatesse avec le pouvoir de son temps, le mage anglais John
Dee (1527-1608), qui venait justement de rentrer de plusieurs années de
pérégrinations sur le continent. Khunrath et Dee devaient se rencontrer en Allemagne,
à Brême, en 1589 ; sans surprise, quelques années plus tard, Khunrath
était nommé médecin auprès du premier mécène de Dee, le Conte de Bohême, Vilém
Rozmberk (1535-1592), fervent soutien de l’Empereur du Saint Empire germanique,
Rudolf II (1552-1612)
Khunrath est
l’auteur d’une poignée de textes ésotériques, la plupart sur l’alchimie : Du
Chaos primordial-matériel (Magdebourg, 1597), Le Magnétisme universel
des philosophes (1599) et Du Feu
des Mages et des Philosophes (1608) En fait, deux copies d’un traité
m’avaient attiré à l’Octagon, son œuvre la plus célèbre : Le Cabaliste
chrétien, l’Amphithéâtre physico-chimique de la seule et unique sagesse
éternelle, un traité dont il fut imprimé une première édition rarissime,
publiée à Hambourg en 1595, dont il ne subsiste que cinq exemplaires ; le
traité fut brièvement réédité en 1608 à Magdebourg, suivi d’une troisième
édition, avec plus de succès, à Hanau, en 1609.
Ce dernier ouvrage
rassemble près de 300 folios d’images et de textes, avec 365 versets de
l’Ancien Testament attribués à Salomon, accompagnés des ruminations
théosophiques de Khunrath qui vont de quelques lignes à plusieurs pages. Selon
moi, il s’agit d’un des textes les plus importants des sciences occultes, non
seulement pour le texte, mais aussi pour les gravures sophistiquées qui
l’encadrent et l’illustrent. Ainsi, la première édition contient quatre larges
figures circulaires entourées d’un commentaire : la dernière édition « amplifiée
et améliorée » y ajoute « cinq figures hiéroglyphiques », ainsi
que le portrait de Khunrath, une page de titre enluminée, ainsi que
l’enluminure d’un hibou, le symbole du savoir.
La plus connue de
ces gravures est incontestablement celle d’un adepte qui s’agenouille devant le
tabernacle de son Oratoire. Dans l’édition de 1595, cette image culmine après
une séquence de quatre « schémas théosophiques » qui se réfèrent à la
cabbale, à la magie, à l’alchimie et qui constituent « la trine clef
apocalyptique » de Khunrath, les « Trois Livres de Dieu, de l’Homme
et de la Nature et le triple commandement de connaître Dieu, toi-même et la
nature. »
Compte tenu de sa
faible diffusion, l’Amphithéâtre de 1595 exerça une profonde influence.
Un exemplaire du manuscrit a survécu dans les collections de la Bibliothèque
royale de Copenhague ; cette copie fut réalisée en 1601/1602 par Johann
Friedrich Jung, connu des cénacles paracelsiens comme traducteur allemand du
traité de Gerard Dorn, la Clavis totius philosophiae chymisticae, La
Clef complète de la philosophie chimique. Le même Jung était également
célèbre parmi les rosicruciens comme l’éditeur du Mariage chimique
(1616) ou Chymische Hochzeit ; son protecteur n’était autre que le
piétiste radical Johann Arndt (1555-1621), le « prophète du protestantisme
intérieur » dont la bibliographie comporte les Quatre livres du
christianisme authentique (Vier Bücher vom Wahren Christentum, 1606).
Tout comme Khunrath,
Arndt avait étudié la médecine spagyrique à Bâle, près d’une décennie
auparavant, et son Liber naturae, quatrième volume du Christianisme
authentique, manifeste une forte influence paracelsienne dont il s’inspire de
la philosophie naturelle. Arndt se montra favorablement impressionné par l’Amphithéâtre
de Khunrath qu’il célèbre dans le neuvième chapitre de son commentaire de 1596
sur les bons et mauvais usages des images de la Bible, l’Ikonographia :
« Ainsi que
le Seigneur Dieu a révélé les mystères par les images de l’Ancien et du Nouveau
Testament, la Nature procède par les éléments, les animaux, les végétaux, les
minéraux et tous les prodiges, formes, créatures, qui se donnent à notre
compréhension et qui nous révèlent ainsi tous leurs secrets à partir desquels
nous pouvons apprendre toute chose, comme si nous lisions dans un livre ouvert
et c’est ce qu’entreprend notre excellent Philosophe, examinateur de la nature,
qui compose son glorieux et merveilleux amphithéâtre de la sagesse divine et
humaine. »
L’édition de 1608
du Feu des Mages et des Philosophes inclut un commentaire anonyme :
le Jugement [Judicium] et Commentaire d’un Philosophe et d’un
Cabaliste exercé sur les Quatre Figures du Docteur Heinrich Khunrath et de son
grand Amphithéâtre. En 1783, Adam Friedrich Böhmen réédita Du Feu des
Mages et des Philosophes ; mais il pensait que le Jugement
était l’œuvre d’Arndt, une opinion partagée par l’historien du rosicrucianisme
Carlos Gilly, qui mentionne cinq copies manuscrites, datées du 31 janvier 1601
ou 1607 ; ces exemplaires sont conservés à la Bibliothèque de Cassel, et
sont probablement les mêmes que ceux mentionnées par Bruce Moran sous
l’intitulé De Amphitheatro Magico Judicium Anonymum, qu’il date
de 1604. Une de ces copies, non datées, provient de l’élève d’Arndt, Johann
Friedrich Jung, et figure dans la copie de l’Amphithéâtre, datée de 1595,
conservée à Copenhague.
La version de Jung du
Judicium n’est pas identique à la version publiée, elle omet le nom de
Khunrath et ne mentionne pas sa mort, ce qui suggère qu’il reprend la version
précédemment publiée, bien que sa transcription soit immédiatement suivie d’une
transcription de Lux in Tenebris datée de 1614, de telle sorte qu’il est
impossible d’attribuer une date certaine au commentaire d’Arndt. Tout se
complique encore lorsqu’on s’aperçoit que plus de la moitié du texte du Judicium
se trouve, bien que non mentionnée en tant que telle, dans le compendium
paracelsien Cabala Chymica (1606), édité par Franz Kieser, chimiste et
docteur de Francfort qui prétend, à l’instar de Khunrath, que les plus hauts
secrets de l’alchimie ne peuvent être découverts sans l’étude de la kabbale et
de la magie.
Selon Arndt, dans
le Judicium, Khunrath cherche à démontrer comment Salomon, à partir des
Livres des Proverbes et de Sagesse de la Bible, « pose les bases de la
magie naturelle, de la cabale surnaturelle et de la théologie divine. » Ce
savoir s’apparente à « trois lumières et esprits : la magie désigne
la lumière naturelle et l’esprit de la nature ; la cabale, la lumière
surnaturelle et l’esprit angélique : la théologie, la lumière de Dieu, le
Saint-Esprit. »
La première lumière
magique équivaut au concept paracelsien de « lumière de
Nature » ; la lumière cabalistique est celle qui émane de l’éphod du
grand-prêtre. Il existe deux influences importantes : l’influence céleste
et la l’influence divine. La première concerne ceux qui vivent selon les
influences naturelles, et donc, comme des païens ; en revanche, ceux qui
vivent selon l’influence divine, vivent selon le Saint-Esprit et sont
chrétiens. Arndt souligne que « l’auteur de l’Amphithéâtre nous apprend
cette leçon par le Prologue avant de transmettre le message par quatre gravures
ou figures. »
« La
première figure traite des trois lumières, naturelle, surnaturelle et divine,
ou naturelle, angélique et divine, c’est-à-dire la magie, la cabale et la
théologie, qu’il inclut tous les trois dans la première figure, sous le nom de
la Sainte-Trinité ; ensuite, viennent les noms hébreux, dans un
cercle : d’abord, le nom de Dieu, ou le pouvoir divin, car les noms de
Dieu sont des pouvoirs divins dont il existe 72 noms. Mais nul ne les
connaît hormis un cabaliste, car la cabale traite surtout des noms
divins ; de ces noms divins découlent les noms angéliques qui forment un
cercle sur la première figure, ils ne sont autres que les pouvoirs angéliques.
« De ces
pouvoirs angéliques dépendent les pouvoirs naturels du Firmament, les
puissances célestes, dont le Seigneur dit : Les puissances célestes se
mettent en mouvement d’elles-mêmes. Ainsi donc, la première figure enseigne la
cabale bien qu’elle y mêle la Magie. La deuxième figure enseigne la
magie ; la troisième, la chimie, car la chimie fait partie de la magie et
personne ne pourra jamais comprendre la Chimie authentique s’il n’a pas tout
d’abord compris et saisi la Magie. Dans la quatrième figure, l’Amphithéâtre
nous apprend la Théologie de l’Oratoire et la Théologie n’est autre que
l’Alloquium Divinum, une conversation avec Dieu. »
L’intérêt d’Arendt
pour Khunrath s’étend au-delà du simple commentaire ; il s’avère qu’il fut
en contact avec le responsable de la nouvelle édition de l’Amphithéâtre,
après la mort de Khunrath en 1605. Bien que cette édition amplifiée, longtemps
attendue, ait été annoncée dans la version 1597 de Du Chaos primordial-matériel,
elle ne devait paraître que vers 1608/9.
Dans une lettre au
lecteur, sans doute écrite à Wernigerode (Frise), aux Ides de Mars 1609 — bien
qu’elle apparaisse dans l’édition de Magdebourg de 1608 —, Erasmus Wolfart,
l’éditeur responsable, déclare qu’en raison même du décès de l’auteur, il a
tenu personnellement à ce que l’Amphithéâtre soit publié « non
seulement parce que l’auteur m’était familier, mais aussi parce qu’il m’avait
instruit de ses lumières, pour l’édition de ce travail, mais aussi pour d’autres
secrets qu’il m’a laissé. »
Nous en savons peu
sur ce Wolfart, hormis qu’il fut un clerc impérial, mais on peut supposer que
Wolfart était apparenté au médecin humaniste Theodor Zwinger (1533-1588) qui
enseignait à Bâle lorsque Khunrath y était étudiant et dont le beau-père était
le philosophe, théologien, alchimiste, grammairien et professeur de dialectique
Conrad Wolffhart, alias Lycosthenes (1518-1561) et dont l’œuvre est fréquemment
citée dans le Theatrum vitae humanae (1565) En 1599, dans une lettre
envoyée à son « bien-aimé seigneur et fidèle ami Erasmus Wolfart »
— lettre qui serait publiée par la suite
sous le titre « Von dem Grossen Geheimnis der Menschwerdung »,
soit Sur le Profond Mystère de L’Incarnation —, Arndt écrit :
« Grâce au docteur Khunrath et à son Amphithéâtre de la Sagesse
éternelle, j’ai appris à reconnaître la vraie et authentique sagesse de Dieu
d’après les signes du macrocosme et du microcosme. »
Les connaissances
d’Arendt ne se limitaient donc pas à ce dernier ouvrage ; dans la même
lettre, il cite la définition de la Nature que donne Khunrath dans le troisième
chapitre de sa Confessio, c’est-à-dire Du Chaos primordial-matériel.
De plus, il semblerait qu’Arendt et Khunrath aient échangé une
correspondance ; Arendt y informe Wolfhart que « le Docteur
Khunrath me provoque en citant le Livre de Tobie comme quoi il faut taire les
secrets du Roi mais révéler les merveilles de Dieu. À quoi je lui réponds qu’il
existe une grande différence entre les merveilles de Dieu et les secrets du
roi : il faut célébrer les merveilles, mais les secrets doivent être
scellés sinon ils n’en sont plus. »
Parcourir les deux
exemplaires de l’Amphithéâtre conservées à la bibliothèque de l’Octagon
fut un immense plaisir, d’autant qu’une de ces monographies aurait apparemment
appartenu à l’ésotériste et alchimiste Mary Anne Atwood (1817-1910), auteur
d’une Enquête suggestive du Mystère hermétique (1850), une œuvre
qui promeut non seulement le laboratoire alchimique mais aussi la discipline
spirituelle. L’exemplaire de l’Octagon porte l’ex-libris AT&M Atwood (1859)
ce qui laisse supposer qu’elle aurait acquis l’ouvrage l’année de son mariage
avec le Révérend anglican Alban Thomas Atwood. Poser la main sur un tel
document, qui fut feuilleté par une personnalité aussi prestigieuse, ne
constituait qu’un avant-goût de la félicité qui m’attendait : l’Octagon
possède quelque chose de bien plus précieux encore.
De mon regard de
myope, je parcourus tous les titres sur les reliures de la section consacrée à
l’Alchimie avant de tomber sur un exemplaire de l’édition 1597 de Von
hylealischen, Das ist/Pri-materialischen Catholischen oder Algemeinen
Natürlichen Chaos, Der Naturegemessen Alchymiae und Alchymisten… en
français : Du Hylique, c’est-à-dire, du Chaos Naturel Universel, Primordial-Matériel
Catholique de l’Alchimie Naturelle et des Alchimistes. »
Sans aucun doute,
ce titre constitue l’œuvre la plus complexe de Khunrath sur l’art du
laboratoire alchimique : il s’agit d’un traité sur la Pierre philosophale
dont Khunrath avait débattu de la possibilité d’existence dans son Amphithéâtre ;
les dix chapitres du Chaos… se consacrent à présent sur la
question de ce qu’elle est, avec une insistance sur le travail manuel, sur
l’emploi et l’identification du magnétisme des philosophes.
Inspiré par le
corpus médiéval, Khunrath commence par rappeler la création ex nihilo par Dieu
de toute matière première, tirée du Chaos qui a donné le macrocosme. Dans les
chapitres ultérieurs, Khunrath s’interroge sur l’utilité de la Cabale dans
l’alchimie, ainsi que sur la lumière naturelle et le Lion Vert ; ensuite,
il en vient au véritable Sujet de la Pierre, il rejette le mercure ordinaire,
le cinabre, l’antimoine et évoque la nature monadique, binaire, ternaire,
quaternaire et quintessentielle de la Pierre avant de se concentrer sur le
« mercure du sage », sur les « propriétés du sel » et d’y
ajouter une dimension théosophique en évoquant l’harmonie du Christ et de la
Pierre, et leur utilité pour les chrétiens.
En fait, plutôt que
de se centrer sur une pierre particulière, Khunrath évoque tous les minéraux et
leurs teintures ; de manière plus pratique, il recommande une série de
tests pour déterminer la nature des produits obtenus. Dans le chapitre final,
il insiste sur l’importance d’une vie philosophique de prière et de labeur.
En supplément à ces
dix chapitres du Chaos… figure une « Admonition cordiale contre
les erreurs habituelles et les présomptions et malfaçons de la chrysopée. »
Cet avertissement est signé du pseudonyme humaniste de Khunrath
« Thrasybulus Ricenus », traduction de l’allemand en grec, Khun,
Téméraire, Rath, Conseil. Ricenus étant l’anagramme d’Heinrich ou d’Enricus.
Effectivement, mes
contemporains de Khurath le désignaient parfois Thrasybulus, y compris son
détracteur le médecin, chimiste et enseignant Andreas Libavius (1555-1616) mais
aussi le spagyriste Michael Maier (1569-1622) qui le rencontra en 1600/1601 et
qui le célébre sous le nom de « Cunradius » dans son Exman fucorum
pseudo-chymicorum (1617) dans lequel il le cite à cinquante reprises ;
récemment, sa correspondance retrouvée nuance cette affection, mais, assez
curieusement, l’admonition de Khunrath serait par la suite reprise par d’autres
alchimistes qui ignoraient qu’il en était l’auteur et qui l’attribueraient à
Maier.
Ce qui rend
l’exemplaire de l’Octagon si exceptionnel est qu’il s’agit d’un original :
les pages ont été massicotées et on y trouve une dédicace d’Erasmus Wolfart,
sans date, et peut-être s’agit-il d’une édition posthume, en tout cas, assez
proche de la mort de Khunrath que le propriétaire connaissait bien comme le
prouve la dédicace : « Amicalement, l’auteur dédie ceci à son
frère et compagnon bien-aimé, le très distingué et érudit, maître Erasmus
Wolfart, préfet d’Ilsenburg à Neindorff. »
L’histoire ne
s’arrête pas là : cet exemplaire contient également une gravure ajoutée
spécialement, du jamais vu dans les œuvres de Khunrath. Le bas de page de la
gravure présente deux escaliers de cinq marches, celui de gauche intitulé Cabalisme
chrétien et l’autre Physico-chimique, les deux menant à un étage Divinement
magique sous une arche de triomphe avec un pavé mosaïque identique à la
gravure de 1609 du Laboratoire Oratoire.
Ces trois mentions
anticipent le titre complet de l’Amphithéâtre (1609) et renforcent
l’idée-maîtresse de Khunrath comme quoi « la kabbale, la magie et
l’alchimie sont et doivent être employées de concert. » Tout comme
dans la gravure de l’oratoire laboratoire, Khunrath privilégie la gauche de
l’Oratoire, la kabbale chrétienne, alors que la droite est le laboratoire de
l’alchimie ; la magie divine, elle, tient la place centrale.
Sur le pavé au
sommet des marches, on peut lire la formule « Jehovah dante bene velle
nosse, posse et esse. » Jehovah nous accorde de souhaiter à juste
escient, de connaître, de pouvoir et d’être » ce qui ressemble fort au
frontispice du Chaos… : « Wol-Wollen, Wol-Erkennen / Wol
Können und Wol Seyn. »
« Ainsi
donc, Jehovah est le seul qui encourage et dirige notre théorie et notre
pratique, les agissements et les œuvres des sens, de la raison, de l’esprit, et
de nos mains ; d’une âme implorante, nous devons, d’un cœur et d’une
volonté pures, prier pour cette aide, de sorte que nous sachions comment
vouloir à bon escient, savoir, pouvoir et être en toutes choses. »
L’arche triomphante
qui s’érige sur les escaliers projette son ombre sur deux obélisques de part et
d’autre de la page de titre ; alors que la base des piliers de l’édition
1609 porte la mention « honnête mémoire » et « immortalité
glorieuse », cette gravure mentionne « Genio & Ingenio »
et « Natura & Arte », deux remarques figurant déjà dans
l’Amphithéâtre :
« Lorsque
l’illumination divine a été accordée à quelqu’un de philosopher
théosophiquement, avec tout le pouvoir de la liberté philosophique, laissons-le
employer et jouir de son génie et de son talent ; que chacun entende,
voie, observe Jéhovah s’exprimer, enseigner et répondre par la Sacro-sainte
Écriture, le Livre de la Nature et lui-même. Par-dessus tout, il faut
rechercher la tri-unité catholique, comme l’enseigne notre Amphithéâtre,
c’est-à-dire reconnaître Dieu, se connaître soi-même ainsi que le plus haut
bien dans la Nature et l’Art, si je puis dire, la Pierre Philosophale. »
Les piliers et
l’obélisque portent deux plaques avec les mots « Orando et Laborando »,
par la prière et par le travail, qui sont une reformulation de la gravure de l’Amphithéâtre.
L’arche elle-même n’est pas complète : ses côtés contiennent des niches et
sont traversées de passages qui diffèrent en proportions ; une ouverture
sur la gauche apparaît plus claire que celle de la droite et peut-être
indique-t-elle que le chemin de contemplation est plus fréquenté que le chemin
d’action.
Sept lampes
illuminent l’arche pour nous rappeler les sept branches du candélabre du
Laboratoire Oratoire, qui représentent à coup sûr les sept luminaires célestes
de « l’astronomie supérieure », à la lumière desquels nous
pouvons lire : « La Confession physico-chimique de Heinrich
Khurath de Leipzig, Amant de la Théosophie, Docteur des Deux Médecines,
republiée, mise à jour et amplifiée, à propos de l’Orthodoxie, du Chaos
Universel de la Chimie Physique : dans laquelle repose matériellement le
Sel de la Sagesse et de l’Azoth Universel, ou Première Matière du Monde, ainsi
que toute chose matérielle, le Mercure du Sage : là où les conditions de
la Magnesia, le Sujet Universel de la Pierre Philosophale, sont fidèlement
récapitulées. Ô Esprit de la Sagesse divine, viens à mon aide ! »
Au sommet de
l’arche, sur la pierre d’angle, on reconnaît le blason de Khunrath, surmonté
d’un Coq et d’une faucille, symbole familier des lecteurs de l’Amphithéâtre
1609, où ses armoiries apparaissent entre deux cornes d’abondance, avec, sur la
façade de l’arche, ces mots : « Le portail de la Théosophie par
lequel les fils de la Doctrine passeront à la compréhension universelle de la
vérité physico-chymique. »
Tout au-dessus
planent deux anges qui portent des rameaux dans une main et dans l’autre une
couronne qu’ils déposent sur le blason, tout comme sur l’illustration de l’Amphithéâtre
1609, où c’était Dieu lui-même qui couronnait le front du philosophe. Bien que
Khunrath mentionne les anges, « redoutables ministres de Dieu », en
particulier dans sa Magie hyper-physique en louant leur « pieuse et
utile conversation, aussi bien lorsque nous dormons qu’à l’état de veille,
médiate ou immédiate », c’est la seule fois où ils apparaissent dans
une gravure.
Pour la majorité des habitants de cette planète, la découverte inattendue d’une petite gravure dans un vieux grimoire alchimique n’a sans doute aucune importance. En revanche, pour les rats de bibliothèques, chercheurs de trésors, explorer l’Octagon de Thomas Hakl, procure l’impression de se tenir au sommet des escaliers, sous l’arche de la sagesse ; pour ma part, je ne me sentais pas encore prêt à franchir le pas, à me retrouver de l’autre côté, car, comme le disaient Khunrath et ses compagnons alchimistes, festina lente, hâte-toi lentement, nous y parviendrons tous.
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