Mors osculi

 

Ill. : Der Tod und das Mädchen (1900) par Adolf Hering. Texte : Pic de la Mirandole et la cabale par Chaïm Wirszubski, traduit de l’anglais et du latin par Jean-Marc Mandosio, suivi de Considérations sur l’histoire des débuts de la cabale chrétienne, par Gershom Scholem, édition de l’Éclat, collection Philosophie imaginaire.

Quand l’âme aura compris tout ce qu’elle pourra comprendre et s’unira à l’âme supérieure, elle se dépouillera de son vêtement terrestre, sera arrachée de son lieu et sera unie avec la Divinité ; cette phrase est issue mot pour mot du Commentaire sur le Pentateuque de Menahem Recanati. Le passage en question du texte de Recanati mérite d’être examiné de près, car il s’agit d’une remarquable explication de la Mort par le Baiser.

« Et lorsque Jacob eut achevé de donner ses instructions à ses fils, il ramena ses pieds sur le lit, il rendit l’âme et fut réuni aux siens » [Genèse, 49, 33]

Ce verset signifie que la mort de notre patriarche Jacob fut provoquée par un baiser, comme nos sages, bénie soit leur mémoire, l’ont dit des six célèbres justes sur lesquels l’ange de la mort n’avait aucun pouvoir : Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron et Myriam… Considérez le grand mystère que je vais vous révéler dans cette parole de nos sages : Les patriarches sont morts d’un baiser. Car lorsque les hommes pieux et pratiques étaient solitaires, concentrés sur les hauts mystères, la faculté imaginative de leur pensée faisait apparaître des choses, comme si elles étaient gravées devant eux.

« Et quand ils unissaient leur âme à l’âme supérieure, ces choses d’accroissaient, attiraient la bénédiction, et surgissaient spontanément du lieu d’où jaillissait la pensée, comme si un homme ouvrait les vannes d’un réservoir, faisant affluer l’eau de tous côtés.

« Et nos sages ont dit dans le chapitre ‘Ein Dorshin : Ben Azzaï était assis, expliquant la Loi et le feu brûlait autour de lui. Rabbi Akiba s’approcha de lui et lui dit : ‘Ben Azzaï, pourquoi aujourd’hui est-il différent des autres jours ?’ Et Ben Azzaï répondit : ‘Je reste assis à étudier, et les choses descendent et se réjouissent devant moi.’ En voici la raison : quand son âme adhéra à l’âme supérieure, les choses terribles se gravèrent dans son cœur, et il les imagina comme si quelqu’un mettait les paroles dans sa bouche, car, grâce à l’adhésion de sa pensée à l’émanation qu’il attirait à lui, les choses s’accroissaient et se multipliaient et se révélaient à lui avec joie…

« L’influx de la prophétie avait lieu de la même façon, quand le prophète, dans sa solitude, dirigeait sa pensée vers le haut ; alors, selon l’intensité de son adhésion, le prophète prévoyait et connaissait l’avenir, comme il est dit en Deutéronome 13 :5 : C’est le Seigneur que vous suivrez ; c’est lui que vous craindrez ; ce sont ses commandements que vous garderez ; c’est sa voix que vous écouterez ; c’est lui que vous servirez ; c’est à lui que vous vous attacherez. Et les prophètes différaient les uns des autres en fonction de l’intensité de leur adhésion…

« Sachez que, de même que le fruit, quand il est mûr, tombe de l’arbre, n’ayant plus besoin d’être joint à lui, il en va de même pour la conjonction de l’âme avec le corps : car lorsque l’âme a compris ce qu’elle est capable de comprendre et adhère à l’âme supérieure, elle se dépouille de ses vêtements terrestres, se retire de son lieu et adhère à la Shekhina et c’est la Mort par le Baiser selon le Sefer ha-Zohar

« Les compagnons n’avaient pas encore quitté cette assemblée que Rabbi Yossi, Rabbi Hizkiyah et Rabbi Yessa moururent et les compagnons virent qu’ils furent emportés par les saints anges vers la voûte céleste. Ainsi, vous pouvez voir clairement que, selon l’intensité de l’adhésion de leurs âmes à l’âme supérieure, ils moururent de la Mort du Baiser. Sefer ha-Zohar : Tandis qu’ils étaient enivrés par ces choses, leurs âmes s’en allèrent dans un baiser, s’attachèrent à la voûte céleste et furent emportées par les anges vers les cieux. »

Le texte de Recanati explique pourquoi Pic dit que, d’après les cabalistes : « Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, Myriam [Marie] et quelques autres moururent de la mort du baiser » et que, toujours d’après les cabalistes, celle-ci est une extase intellectuelle où l’âme s’enivre des choses séparées à un tel point qu’elle abandonne complètement le corps.

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