Pris
sur Doorbraak. À la recherche du royaume aryen d’Elisabeth Nietzsche par Bart
Maddens, traduction du néerlandais par Ènocint Catwace, no copyright infringement intended.
15
mars 1886 : Elisabeth Nietzsche, sœur du philosophe, accompagnée de son mari
Bernhard Förster débarquent avec quatorze familles de souche allemande à Asunción,
capitale du Paraguay. Förster est un antisémite fanatique, précurseur du
national-socialisme pour qui l’Allemagne est irrémédiablement contaminée par la
« juiverie. » La seule libération possible pour les Aryens est de
recommencer à zéro ailleurs, par exemple au Paraguay, loin du monde civilisé.
Elisabeth,
bouillonnante d’enthousiasme, sélectionne un groupe de pionniers et tous
ensemble, à 250 kilomètres au nord d’Asunción, ils fondent « Neues Deutschland »,
la Nouvelle Allemagne dans la jungle. L’ambition des Förster-Nietzsche est
immense : leur colonie doit grandir aux dimensions d’un empire qui
couvrira le continent.
Un
siècle plus tard, l’auteur britannique Ben Macintyre apprend cette étrange
histoire. Que sont devenus les Aryens de la jungle ? Au début des années
90, il part à leur recherche et publie le résultat de son enquête :
« Élisabeth Nietzsche : la folie aryenne », aux éditions Robert
Laffont. Lorsque je lus ce livre pour la première fois, au début des années 90,
j’avais moi-même éprouvé l’envie de visiter cette colonie, un projet jamais
abouti jusqu’à ce que ma femme et moi, nous décidâmes de visiter le Paraguay le
mois dernier.
Macintyre
décrit son propre périple, sur les traces des Förster, comme « un voyage
d’exploration pour une destination inconnue. » En réalité, Nueva Germania
figure clairement sur la carte et on peut l’atteindre facilement, pour autant
que vous soyez disposés à accomplir un long transport, assis dans un bus :
la grande différence avec il y a trente ans, c’est qu’aujourd’hui les routes
sont asphaltées.
Le trajet nous a pris jusqu’à l’après-midi et finalement, nous sommes descendus à l’arrêt de Nueva Germania : j’ignore à quoi nous nous attendions, mais la déception fut énorme. Nueva Germania n’est qu’une banale petite bourgade du Paraguay traversée par une chaussée assez encombrée et rapide. Mais tout cela n’a pas grand-chose d’allemand.
Au
Paraguay, c’était déjà l’hiver et la nuit tombe vite. Notre premier souci fut
de trouver un logement : il ne restait plus qu’une seule maison d’hôte. Et
incroyable ! Le portrait d’Elisabeth Nietzsche était accroché au mur… Au
bout d’une lune, des touristes qui ont lu le livre de Macintyre arrivent ici à
la recherche des vestiges de « l’empire aryen. »
Ces vestiges sont bel et bien présents, mais ils n’ont rien d’impressionnant. L’entreprise de Förster-Nietzsche fut un échec lamentable : les fermiers allemands ne s’adaptèrent jamais à la jungle et dépérirent dans le climat tropical. Evidemment, le couple de fanatiques camouflait cette réalité dans leur propagande et ils attirèrent d’autres crédules.
L’un d’entre eux fut le tailleur anversois d’origine allemande, Julius Klingbeil. Rapidement, il démasqua l’escroquerie des Förster-Nietzsche, s’enfuit de ce cauchemar non-climatisé et publia son propre livre : « Révélations sur la colonie de Berhnard Förster, la Nouvelle Allemagne. » Elisabeth tenta de circonvenir Klingbeil, mas rien n’y fit : à partir de ce moment, la colonie déclina inexorablement.
Lors
de notre deuxième nuit à la pension, panne d’électricité ! Et dans toute
la commune... L’occasion de discuter un peu avec la tenancière qui n’est pas
allemande du tout. « Il y a encore beaucoup de vrais Allemands
ici ? » Des aryens, voulions-nous dire, mais comment lui expliquer en
espagnol ?
Il
semble bien que les descendants des colons vivent toujours au Paraguay, mais
pas dans la commune même : dix kilomètres au nord de Nueva Germania. Le
frère de notre hôtesse nous emmène dans ce trou perdu. Quelques fermes, une
église protestante, avec un cimetière derrière.
Une
femme dépose une gerbe de fleurs sur la tombe de sa mère décédée. Ses
grands-parents faisaient partie du contingent de colons. Quant à elle, elle a
déménagé à l’ouest, là où les immigrés allemands se sont récemment installés :
ils sont très actifs dans le secteur agro-alimentaire. Cette femme nous
explique que son père et sa fille gisent également dans ce cimetière : trois
générations d’aryens sous ces cieux exotiques.
Le
tableau a une tonalité mélancolique et nous nous sentons mal à l’aise, comme
des voyeurs. Pas le moment d’une causerie sur Nietzsche, sa sœur et
l’antisémitisme. Dans ce cimetière, nous découvrons également les pierres
tombales des premiers colons, sauf celle des deux fondateurs.
A
la fin de sa vie, Elisabeth quitta Neues Deutschland et eut droit à son propre
monument en Allemagne où elle popularisa l’œuvre de son frère auprès des
hitlériens. Son mari, lui, mourut là-bas, ruiné par la chute de sa colonie,
dépressif et reclus à San Bernardino, à l’Hôtel del Lago où il finit par se
suicider à la strychnine en 1889.
San
Bernardino, pas très loin de la capitale Asunción, nous laisse une impression
de mélancolie. L’hôtel existe encore, mais quasi vide. Il faut venir en été, il
y a plus de monde. On dirait l’hôtel Overlook de Stephen King dans Shining, un
immeuble à vendre et dont personne ne veut. De loin, la mer est jolie, mais on
ne voudrait pas s’y baigner : trop sale. La sépulture de Förster se trouve
tout près, dans le cimetière allemand de l’hôtel. Mieux entretenue que ce que
laisse augurer la photo dans le livre de Macintyre : on y trouve même des
fleurs.
Le guide local sait-il ce qui s’est produit ici en 1934 ? Oui, bien sûr. Cette année-là, Hitler envoya un sac de terre authentiquement allemande pour qu’elle soit déversée sur la tombe de Förster. Ce n’est peut-être qu’une légende, mais le guide la présente avec un léger accent de fierté.
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