Source : Histoire du scepticisme, de la fin du Moyen Âge à l’aube du dix-neuvième siècle par Richard Popkin, préface de Frédéric Brahami, éditions Agone, collection Banc d’essais.
D’après un récit passablement biaisé qui remonte aux
Lumières et que le dix-neuvième siècle libéral va alimenter, l’Église est un
pouvoir spirituel exigeant le sacrifice de la raison à l’autorité. En vérité,
l’Église avait toujours cherché à articuler fortement et positivement raison et
Révélation. Selon la dogmatique catholique, la raison conduite suivant ses
normes immanentes autorise, et même favorise, l’acceptation de la Révélation
par tout homme capable de penser sans préjugés.
Réciproquement, les données de la Révélation légitiment
la confiance que chacun accorde spontanément à la raison. Le Dieu catholique ne
demande donc jamais au fidèle qu’il sacrifie son entendement à la foi, puisque
la raison produit de solides arguments en faveur de l’existence de Dieu unique
et bon, et par suite vérace.
Nous savons donc d’un savoir rationnel antécédent que
Dieu existe et qu’il ne ment pas et comme rien de ce qui est dit de Dieu dans
la Bible ne contredit l’idée que la raison s’en fait de son côté, une jonction
de l’ordre philosophique de la preuve et de l’ordre religieux de la foi est
possible. Mais pour passer de la simple possibilité à la nécessité, il faut
faire encore un pas et avancer un argument de type
« probabiliste » : nous pouvons nous assurer de la vérité de la
Bible parce que les prophéties qui y sont annoncées ont été accomplies, que les
deux Testaments concordent pleinement et que les miracles qui s’y trouvent
rapportés sont attestés.
De sorte qu’il est en réalité beaucoup plus improbable
que la Bible soit un tissu de fables plutôt qu’un livre effectivement révélé
par Dieu. Lorsque le fidèle donne son assentiment à cette religion, il croit
non pas aveuglément mais d’une croyance raisonnable. Dès lors, les dogmes
apparemment les plus étrangers à la raison, comme la trinité divine ou la
transsubstantiation doivent être posés comme vrais, bien qu’ils dépassent toute
compréhension humaine.
Nous ne pouvons découvrir les hauts mystères de la foi
par la raison ni les comprendre quand ils nous sont révélés ; mais ils ne
sont pas pour autant contraire à la raison. Pourvus des meilleures raisons de
croire en la vérité générale du texte sacré, nous donnons un assentiment
éclairé quand nous croyons aussi en la vérité de ses passages mystérieux, sinon
il faudrait supposer que Dieu ment de temps à autre.
Supérieure à la raison, la foi est donc nécessaire en ce qu’elle nous fait connaître des mystères auxquels nous n’arriverions pas par nos propres forces, mais jamais elle n’entre en conflit avec la raison, ni ne s’y oppose. Raison et révélation entretiennent ainsi un rapport heureux de confirmation mutuelle car jamais l’Église n’a accepté de faire reposer la foi sur les ruines de la raison.
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