Ill. : Viktor Brauner. Texte : Le Mythe de l’Androgyne par Jean Libis, éditions Berg International, collection L’Île verte.
Orphée est l’homme du vertige érotique. Il se laisse
« descendre » jusqu’aux enfers. Mais alors qu’Ulysse, en tacticien
habile, se dérobe à la témérité qui consisterait à lutter à main nue contre le
Désir, Orphée l’affronte héroïquement et opère la descente aux Enfers ;
peine perdue, on sait que le héros, cet avatar de Tristan, ne pourra tenir la
promesse qu’il a faite. Il succombe au désir, non seulement en ce qu’il y cède,
mais aussi et surtout en ce qu’il est rejeté par lui vers l’échec radical.
Maurice Blanchot, qui nous a guidé ici dans cette interprétation
écrit avec pertinence : « Orphée est coupable d’impatience. Son
erreur est de vouloir épuiser l’infini, de mettre un terme à l’interminable, de
na pas soutenir, sans fin le mouvement même de son erreur. » Il y a, oui,
comme un infini du désir, mais un infini fermé, une aporie, quelque chose comme
une roue d’Ixion. En d’autres termes encore, nous dirons que « le lac est
sans fond. »
Le désir est foncièrement récurrent et renaît de ses propres cendres. À travers lui scintille la quête de l’impossible androgyne. Lorsqu’affleure au jour de la conscience ce mécanique de l’interminable, quelque chose se produit qui pourrait être une révolte, et qui répond à la violence subversive contenue dans l’Éros. L’œuvre de Bellmer, peut-être mieux qu’aucune autre, reflète l’angoisse de ces violences confrontées, le tragique de cette aporie érotique.
Lieu de vertige par excellence, ce vertige dont parle
Julius Evola, l’œuvre de Bellmer multiplie les spirales, les enroulements
hélicoïdaux, les escaliers tournants. Nous sommes dans le domaine de
l’asymptote et souvent le point de convergence mathématiquement inaccessible
est le sexe de la femme qui semble se dérober dans le fou du graphisme. Mais
cette première approche en forme d’errance, analogue à l’interminable excursion
autour du château de Kafka, nous plonge bientôt dans le jeu cruel des
métonymies, et le sexe ressurgit là où on ne l’attendait pas : à travers
un impensable visage ou dans le creux d’une chevelure surcomposée.
Parfois même, nous l’avons déjà vu, les données
phalliques viennent se superposer ou se substituer aux formes féminines,
suggérant de monstrueux hermaphrodites venant tromper l’absence de l’Androgyne
mythique. Il résulte de tout ceci une dislocation sans merci, une violence
combinatoire qui est à la mesure de l’impossibilité radicale qui est en
cause : celle de donner un sens au Désir qui tourmente les corps et
ébranle les esprits dans le jeu sans fin d’une production désirante.
Tout se passe comme si l’individu en proie au désir se
laissait aller à une sorte d’hypnose, tout en ayant le pressentiment qu’il sera
dupé, qu’il n’atteindra pas ce qu’il cherche.
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