Source : Le Royaume de l’Au-delà par Thomas Edison, précédé de Machines nécrophoniques par Philippe Baudouin, éditions Jérôme Millon, collection Golgotha.
La machine d’Edison, de par les phénomènes qu’elle
autorise, contredit brutalement les principes mêmes de la philosophie
classique, à commencer peut-être par celui avancé par Aristote : la voix
« est un certain son de l’être animé », « aucun des êtres
inanimés, en effet, ne possède la voix », écrit-il dans son traité De
L’âme.
Dans ce cas, si seuls les êtres doués d’une âme
possèdent une voix, comment alors appréhender ces objets techniques, tels que
le phonographe, le téléphone, la télégraphie sans fil, le magnétophone, le
cinématographe, capables de donner à entendre la voix humaine ? Il
semblerait qu’une possibilité de répondre à cette difficulté réside dans la
relecture de l’expression « machines à fantôme » forgée par Gilles
Deleuze.
L’auteur de l’image-mouvement se réfère à l’une des Lettres
à Milena de Franz Kafka, rédigée en avril 1922, où ce dernier définit
l’écriture épistolaire comme un « commerce avec les fantômes » et
généralise cet élément caractéristique à l’ensemble des machines à
communiquer : nous devons distinguer, écrit Deleuze, d’une part,
« les moyens de communication-translation, qui assurent notre insertion et
nos conquêtes dans l’espace et le temps », ce sont là nos moyens de
locomotion, l’automobile, le bateau, le train, l’avion, et d’autre part
« les moyens de communication-expression, qui suscitent les fantômes sur
notre route et nous dévient verse des affects incoordonnés, hors
coordonnées », le courrier postal, le téléphone, la radio, etc.
Si l’instrument phonographique est bien une
« machine à fantôme », les spectres qu’il met au jour n’appartiennent
pas nécessairement au passé : ils correspondent à ce que Villiers de
L’Isle-Adam désigne sous le nom de « présences-mixtes » ou de
« créatures-fantômes » dans L’Ève Future (1886)
Le phonographe serait ainsi une machine élégiaque qui, du fait de son dispositif, se rapprocherait de celui de la séance spirite pour l’évocation de l’âme des défunts. Grâce à sa capacité de transmission et de conservation, il est un considérable agent d’extension du « royaume des morts. » En conférant ainsi à la parole enregistrée la réalisation du vieux rêve de l’immortalité de l’âme, Thomas Edison rejoint ici son personnage fictif, imaginé par Villiers de l’Isle-Adam dans L’Ève Future, qui n’hésiterait pas à qualifier la reproduction technique des sons et des voix de « spiritisme sérieux » lorsqu’il était parvenu à « clicher l’âme » d’un rossignol mort avec son appareil.
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