Texte :
Giordano Bruno, un génie martyr de l’Inquisition par Jacques Arnould,
éditions Albin Michel.
Frère Giordano sait que la tradition judéo-chrétienne a recours au thème de l’ascension et de la descente, mais ce mouvement est impérativement limité dans le temps par la fin du monde annoncée dans les apocalypses, par l’avènement du Christ.
Telle n’est pas la mesure de la sempiternelle
vicissitude qui, selon le Nolain, marque, meut le réel et dont la conséquence
est aussi joyeuse que peut l’être une ronde, une ritournelle répétée à
l’infini. Il s’en explique dans Des fureurs héroïques : l’univers infini
est divin par l’immanence du divin en lui, le Paradis se réalise dans
l’existence mondaine elle-même. Il n’est plus nécessaire de s’interroger sur
les origines de l’humanité ou du monde, de se soucier de leur destin ou de leur
fin ; il n’est plus utile de s’inquiéter pour le temps qui serait compté,
car l’univers est l’éternité elle-même. Et le réel est soumis à une
métamorphose sans fin, ni limite, grâce à laquelle il n’y a jamais de détresses
si pénibles, de maux si douloureux, lorsque la roue passe au plus bas de sa
course, qui ne soient suivi par l’union avec le divin lorsqu’elle parvient à
son sommet…
Mais qui fait donc tourner cette roue ? Pour
répondre à cette question, le Nolain donne la parole à la Fortune :
« Je fais tourner la roue, je remue l’urne par une mesure indéterminée
afin que mon intention ne puisse pas être mise en cause. » La roue de la
Fortune ? Étrange ou trop facile, pourrions-nous lui rétorquer. Mais
laissons-lui le temps de préciser : « Par Fortune, on n’entend rien
d’autre qu’un événement imprévu, mais nullement pour l’œil de la
Providence. » Si, pour le philosophe, la Providence n’est autre que
l’ordre de la nature, la Fortune, incertaine et même injuste, inique, est
nécessairement aveugle ; elle-même revendique d’ailleurs cette
cécité : « Si je n’étais pas aveugle, je ne serais pas la Fortune… Je
suis une justice qui n’a pas à distinguer, je n’ai pas à faire de différences
lorsque je donne. Je ne vois pas à qui je donne ; lorsque j’ôte, je ne
vois pas à qui j’ôte ; si bien que, de cette manière, j’en arrive à
traiter tout le monde également et sans faire de différence aucune. »
Que faut-il craindre, que faut-il espérer d’une telle
Fortune qui « jette tous les êtres dans une même urne ? »
Gardons à l’esprit la vision du Nolain ; il prétend encore qu’il nous
revient de saisir la Fortune par les cheveux, de ne plus être les otages
passifs de forces qui nous emportent vers le haut ou vers le bas. Il n’y a pas
de fatalité, le cercle de la vicissitude ne se referme jamais, il reste ouvert,
il reste infini.
« Que chacun compare ce qu’il veut à ce qu’il sait, ce qu’il veut et sait et à ce qu’il peut, ce qu’il veut, sait et peut à ce qu’il doit, ce qu’il veut, sait, peut et doit à ce qu’il est, fait, possède et attend. »
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