Source : L’Obsolescence de l’homme, tome 2
par Günther Anders, sur la destruction de la vie à l’époque de la
troisième révolution industrielle, éditions Fario.
Ce n’est pas en reprenant la formule « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien » que nous prierions aujourd’hui si nous étions honnêtes, dit un aphorisme molussien, mais en lui substituant celle-ci : « Donnez-nous aujourd’hui notre faim quotidienne », une formule grâce à laquelle la production de pain est chaque jour assurée. En réalité, la prière qui convient à notre époque ne sort plus de nos bouches humaines parce que ce sont les produits qui prient aujourd’hui. « Donnez-nous aujourd’hui notre mangeur quotidien. »
En fait, cet aphorisme convient parfaitement à 99% des
produits. Car la plupart d’entre eux, même à peine artificiels, comme le
beurre, pour en citer un, qui du haut de ses mottes affirme qu’il est sain, ont
faim d’être consommés, parce qu’ils n’ont ni la possibilité n le droit de
compter simplement sur une faim humaine venant à leur rencontre. Pour qu’ils
trouvent leur compte, c’est-à-dire pour que la production suive son cours, il
faut produire un autre produit, un produit au carré, et l’intercaler entre le
produit et l’homme : ce produit s’appelle le « besoin. »
Reformulé dans notre perspective, cela donne : pour pouvoir consommer des
produits, nous avons besoin d’un avoir besoin.
Mais ce besoin ne tombant pas du ciel, comme la faim, nous devons le produire à l’aide d’une industrie spécialisée, à l’aide de moyens de production produits systématiquement à cette fin et qui sont des produits au cube. Cette industrie, qui doit faire coïncider la faim qu’on les marchandises d’être consommées et la faim que nous avons d’elles, s’appellent la « publicité. » On produit alors des moyens permettant de faire de la publicité pour éveiller chez nous le besoin de produits qui, eux, ont besoin de notre besoin ; afin qu’en liquidant ces produits, nous garantissons la poursuite de notre production.
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