Chariot de feu

Source : La pratique du Tarot, symbolisme, tirages et interprétations, par Jean-Pierre Bayard, éditions Dangles.

Cette carte a une forte influence avec Wirth ainsi qu’avec Papus qui rétablit un chariot pouvant rouler, traîné par deux sphinge femelles qui cette fois-ci tirent ensemble dans la même direction, alors que Court de Gébelin oriente les chevaux perpendiculairement l’un par rapport à l’autre. Le dais dessiné par Wirth, aux formes très arrondies, est constellé d’étoiles et il pense que c’est « le char triomphant de l’antimoine », celui évoqué par Basile Valentin en 1671. On peut évoquer le symbolisme du dais, de la coupole, de la voûte, du dôme qui sans doute achève le baldaquin ici esquissé ; comme le ciel surplombe la terre, l’alliance ciel-terre est figurée dans le char de l’empereur chinois surmonté d’une coupole ; il faut que le représentant de Dieu se situe à l’intersection des deux émanations.

On peut également songer au transport de l’arche d’alliance alors que le peuple d’Israël était encore nomade. Ce fut au cours de l’un de ces transferts que le chariot, tiré par des bœufs, s’enlisa entre la maison d’Aminadam et le palais ; au cours de cette mauvaise manœuvre, Oza toucha l’arche afin de la retenir et il tomba foudroyé. Quel était le pouvoir du tabernacle ? Mais le conducteur ici figuré n’est pas Oza ; il a une assurance tranquille et il n’a même pas à diriger l’attelage tant il est sûr de son chemin. D’ailleurs, son sceptre l’investit d’une autorité absolue et indiscutée. Pour Court de Gébelin, qui inverse toujours l’image, nous sommes devant la représentation d’Osiris sur son char triomphal. On peut aussi bien songer au dieu Mars, ou à un vainqueur, à un héros glorieux, qui se dresse dans son char pour recevoir l’acclamation du peuple. C’est là une image classique.

Gérard van Rijnberk apporte la légende sur le voyage aérien d’Alexandre le Grand qui veut escalader le ciel, mais cette ascension au ciel, avec sa quête du Paradis, très connue au Moyen Âge, ne paraît pas se rapporter à cette lame où le chariot paraît bien pesant pour entreprendre un tel voyage aérien. Delcamp écrit : « Le chariot est un arcane de Mars et de Jupiter. » Il est vrai que ce chariot qui ne peut rouler dans son état matériel a cependant une marche victorieuse grâce au pouvoir tenu solidement par un triomphateur ; l’âme intellectuelle se dégage de la matière.

Élie, d’après Ézéchiel, ne s’est-il pas élancé au ciel dans un char de feu, gagnant ainsi l’immortalité ? « Toi qui as été enlevé dans un tourbillon de feu, dans un char traîné par des chevaux ardents, toi qui fis sortir un défunt du sort de la mort. » (Ecclésiaste 48-49) Nous sommes devant un Elie terrestre car l’initié croit se mêler à tous, aller dans le monde pour transmettre ce qu’il a pu apprendre. Pour Frédéric Lionel, « l’homme, maître du chariot a résolu les conflits, unifié ses tendances contraires et a abandonné toute recherche de résultats matériels, ayant compris que l’élan qui l’habite débouchera sur la supra-conscience, à condition de s’abandonner aux forces psychiques et cosmiques du Soi.

Cette complémentarité des couleurs, tant dans les chevaux que dans les colonnes soutenant le baldaquin, fait dire à Rijnberk que le parfait initié qui conduit le char « domine les forces instinctives et dirige les énergies de l’esprit. » Et Papus fait allusion à la nature double du corps subtil de l’homme : le corps astral et le corps éthérique. Si l’on peut encore songer que la cuirasse, avec sa couleur bleue, montre le corporel, le matériel, mais que le reste de son habillement jaune et rouge est l’image de l’esprit qui s’incarne, il est peut-être plus hasardeux d’affirmer, avec Wirth, que les roues « représentent l’ardeur vitale qui s’entretient par le mouvement et surgit de la matière, comme par frottement. »

À propos des deux sphinges, Edmond Delcamp pense que pour atteindre l’unité, il devrait y avoir fusion entre ces deux corps féminins. Wirth enferme ces deux animaux aux têtes humaines dans une forme ovoïde, « l’œuf du monde », et il remplace les lettres S.M. par un emblème phallique égyptien. Sa Majesté ou un symbole alchimique ? Ainsi, cette lame est chargée de nombreux symboles, sans doute fort intéressants, mais qui font oublier le sens de la carte simple et directe du tarot de Marseille.

Commentaires