Signe des temps

 

Depuis plusieurs mois, on voyait des signes extraordinaires dans le ciel : l’épi de la Vierge avait manqué à l’appel de l’observatoire : la lune avait poussé des gémissements comme si elle eût été en travail ; la chevelure de Bérénice avait d’abord paru poudrée de blanc, et ensuite, par un coup de vent, était devenue noire comme un crêpe.

Tous les astres à la fois paraissaient donner des signes de tristesse. Ce n’était plus ce concert harmonieux que les sphères célestes firent entendre autrefois à Scipion. Elles ne rendaient que des sons lugubres comme les faux bourdons des cathédrales ; ou discordants comme les hurlements de plusieurs animaux. Enfin, quelques personnes même crurent voir dans la région des étoiles, comme de grands crocodiles qui s’agitaient avec des contorsions effroyables.

Les savants, il est vrai, ne voyaient là aucun prodige. D’un trait de plume, ils expliquaient tous ces phénomènes, ou ils les niaient quand ils ne pouvaient pas les expliquer ; aussi paraissaient-ils fort tranquilles mais le peuple qui n’a pas comme eux la clef de la nature se mourait de frayeur à la vue de ces merveilles ; il n’y a percevait que les plus sinistres présages. Il se lamentait, errait ça et là, et courait partout où son désespoir et la peur l’entraînaient.

Arendt de Gelder : Baptême de Jésus (1701)
Louis Claude de Saint-Martin : Le Crocodile

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