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Ill. : ... après y avoir bouté le feu. Texte : Le Cloître des ombres par Jean-Claude Schmitt, éditions Gallimard, collection Bibliothèque des Histoires.

La lecture est un chemin, dit Richal, un chemin intérieur que le moine parcourt assis, alors que les démons cherchent par tous les moyens à le faire se lever et à s’égayer au-dehors. Ou encore, ils s’efforcent d’éblouir le lecteur et de le forcer à interrompre sa lecture en tirant sa tête dans la lumière du soleil.

Que lisent les moines ? Tout texte, même emprunté à la Bible, ne convient pas à la lecture individuelle qui doit viser l’édification et la médiation du moine ; celui-ci trouve consolation et sagesse dans les écrits de Grégoire le Grand et de saint Bernard, alors que les démons voudraient plutôt lui mettre entre les mains « le livre des Rois ou quelque chose de ce genre » : les histoires plus distrayantes des rois de Juda et d’Israël, les aventures hautes en couleur de David et de Salomon. La seule vue de tous les livres qui entourent les moines provoque le désespoir d’un démon qui en vient à « se tordre les mains l’une sur l’autre de douleur, à la manière de ceux qui sont en deuil, et dire en gémissant fortement : malheur, malheur, que font tous ces livres ? pourquoi tant d’étude ? dans quel but cet empressement ? »

Le travail de copiste du moine dans le scriptorium lui aussi silencieux ou seulement bruissant du murmure des frères qui épellent les mots qu’ils sont en train de calligraphier, est également une ascèse très dure, souvent épuisante, et qui s’apparente à une prière. Les moines qui recopient les sermons de saint Bernard peinent à la tâche, s’en plaignent entre eux et portent leur récrimination au chapitre. 

La calligraphie requiert du copiste une telle attention que le tracé des lettres continue de le poursuivre jusqu’aux portes du sommeil : alors que Richalm est assis éveillé au bord de son lit, après complies, « au crépuscule avant la nuit », une initiale Q lui apparaît de nombreuses fois et le laisse interdit ; une demi-année plus tard, il comprend qu’elle était une allusion aux questions posées par Job au Seigneur et commentées par Grégoire le Grand dans sa Moralia. Le frère N. se soucie quant à lui des copies qui seront faites de son livre : c’est en priant le Seigneur et pour l’honneur de la Vierge qu’il adjure les copistes à venir d’être fidèles à son texte et d’insérer la même prière dans leur manuscrit à l’intention de ceux qui plus tard le recopieront.

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