« Filosofiya obshchego dela »

Source : Philosophie de l’œuvre commune par Nikolaï Fiodorov, éditions des Syrtes, sous la direction de Françoise Lesourd, traduit du russe par Gérard Conio, Régis Gayraud, Luba Jurgenson et Françoise Lesourd, extrait de la postface de Svetlana Smeionova.

Dans les écrits de Fiodorov, on sent la Terre largement ouverte sur les lointains cosmiques : « Le travail humain ne doit pas s’enfermer dans les limites de la terre et ce d’autant plus que ces limites, ces frontières n’existent pas : la terre, en quelque sorte, est ouverte de toutes parts, ce sont les modes de déplacement et les moyens de vivre dans différents milieux naturels qui peuvent et surtout doivent être changés. »

L’homme doit inévitablement sortir dans le cosmos ; ce phénomène est envisagé sous divers angles, depuis ses aspects naturels et socio-économiques jusqu’aux aspects moraux. En faveur de cette sortie dans le cosmos, les arguments sont variés : il est impossible d’accéder à une régulation pleine et entière dans les seules limites de la terre, car elle qui dépend du cosmos tout entier, qui lui-même est sujet à l’usure, se consume, tombe ; d’autre part, c’est dans les espaces infinis de l’univers que doivent trouver place les myriades de générations ressuscitées : « la recherche de nouvelles terres » est une façon de préparer les futures « demeures célestes » des pères. « Engendrés par la minuscule terre, le spectateur de l’espace démesuré, le spectateur des mondes qui peuplent cet espace doit les habiter et les gouverner. »

On entend parfois dire que l’avènement de l’ère cosmique permettra réellement d’éviter dans un lointain avenir la fin, sinon inéluctable, de la civilisation humaine. Dès la fin du dix-neuvième siècle, la seule issue que Fiodorov voyait pour l’humanité acculée à une fin terrestre inévitable — épuisement des ressources naturelles tandis que la population ne fait qu’augmenter, catastrophe cosmique, extinction du Soleil — était la conquête de nouveaux milieux de vie, la transformation d’abord du système Solaire, puis du cosmos le plus lointain.

Pour Fiodorov, « rester les bras croisés et nous morfondre dans l’observation douloureuse et passive de la destruction progressive de nos lieux de vie et de nos cimetières, nous laisser mourir et pas seulement nous, la génération vivant à ce moment précis, mais aussi priver d’avenir tout le passé, et commettre un péché, un crime contre nos frères, mais également contre nos frères », est immoral et indigne de l’homme. De plus, seul un domaine d’action aussi illimité que la conquête du cosmos, avec la hardiesse qu’il exige, attirera et décuplera l’énergie de l’esprit, toutes les forces humaines qui aujourd’hui sont dilapidées dans les querelles ou dépensées à rien.

Pour Fiodorov, l’homme d’aujourd’hui est face à deux limitations fondamentales, intimement liées : « Les limites spatiales empêchent les êtres doués de raison d’exercer leur action en tous lieux sur tous les mondes de l’univers et les limites temporelles, la mortalité, empêchent les générations d’êtres doués de raison d’exercer leur action tous en même temps sur tout l’univers. » La première, le fait d’être rivé à la terre, trouve sa solution dans le peuplement du cosmos, dans une capacité nouvelle « de se déplacer à l’infini », et la seconde dans la conquête d’une existence immortelle, les morts étant ramenés à la vie. « La lutte contre l’espace qui sépare » est pour lui, « le premier pas dans la lutte contre le temps qui dévore tout. »

Car l’immortalité n’est possible qu’à condition de surmonter l’isolement de notre Terre par rapport au cosmos, tout en régulant les phénomènes cosmiques.

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