Dégénéré supérieur

 

Source : Gérard de Nerval, l’inconsolé par Corinne Bayle, éditions Aden, collection Le cercle des poètes disparus, dirigée par Robert Bréchon. fait

Théophile Bra (1797-1863), sculpteur officiel sous la Restauration plutôt académique. Sous l’impulsion du délire, il a dès l’enfance des hallucinations et des crises de mysticisme qui se traduisent par des accès de somnambulisme. Mais c’est à la suite d’un accident de diligence, en février 1824, qu’il est pris d’une fièvre qui communique à son esprit « une activité inconnue », les fantasmes sont amplifiés sans doute par son intérêt pour l’occultisme et le magnétisme. Grand lecteur de Swedenborg, il rencontre Balzac en 1833 : ce dernier aurait écrit Séraphita après avoir vu la statue d’un Ange dans son atelier.

Parallèlement à son activité de sculpteur, il couvre des milliers de feuilles de dessins à l’encre, surprenants et talentueux, que peu de contemporains ont pu voir, à l’exception de ses proches, du docteur Broussais qui le soigna et de l’aliéniste Esquirol. Son œuvre graphique reste secrète, empreinte de spiritualité qui l’a fait comparer à celle de William Blake pour son caractère illuminé. Il écrit, en premier lieu, dans ses croquis mêlant texte et image, puis il passe à une enquête autobiographique pour comprendre ses délires ; il s’adonne à une confession, en grande partie dictée, comme « parlée. »

C’est une autojustification de ses agissements et cela pour de tristes raisons : à la mort de sa première femme, ses enfants lui sont enlevés par sa belle-famille qui lui intente un procès, à l’occasion duquel il donne pour son avocat un Mémoire et une Analyse du plaidoyer, bientôt suivi d’un second mémoire, Analyse et réfutation, et publiés en 1827. Ces cinq cents pages ne suffisent pas à calmer ses angoisses, de sorte qu’il se lance dans l’entreprise plus littéraire de ce qu’on appelé, à partir d’une expression du texte, L’Évangile rouge.

Il déclare en avoir commencé la dictée le 21 juin 1829, à la veille de perdre sa deuxième épouse. Dans cette espèce de journal de la folie, qui raconte les deux années suivant le procès et l’expérience mystique dont il a tiré enseignement, il cherche à se justifier et de montrer qu’il est lucide et sain d’esprit. Il inclut des réflexions sur le somnambulisme auquel il continuera de s’adonner dans les années 1840 ; sa troisième épouse sera une « somnambule de profession. »

Les obscurités du texte, les redites et reprises, la confusion des propos, les innombrables citations, le fatras philosophique et religieux, font que L’Évangile rouge n’est pas comparable à l’œuvre de Nerval, à la beauté littéraire qu’il ava atteindre avec Aurélia, mais la figure de Théophile de Bra et sa singulière expérience entre délire et génie, « Théomanie » et « Démonomanie », l’obsession du double et du dédoublement, qu’il a dessinée et mise en scène : il s’imagine qu’il écrit sous la dictée d’un autre lui-même, qu’il nomme « Joseph Bellemain. » La schizophrénie dont il est atteint n’empêche pas son art de s’exprimer de manière visionnaire.

Ses hallucinations sont transcrites par ses dessins conservés à la bibliothèque municipale de Douai, sa ville natale, où il s’était retiré à partir de 1850. Une récente exposition au musée de la Vie romantique à Paris (2007) a révélé une partie de ces créations étranges et ses écrits ont été partiellement publiés, du moins son autobiographie spirituelle.

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