Source :
Philosophie de l’œuvre commune par Nikolaï Fiodorov, éditions des
Syrtes, sous la direction de Françoise Lesourd, traduit du russe par
Gérard Conio, Régis Gayraud, Luba Jurgenson et Françoise Lesourd,
postface de Svetlana Smeionova.
Que l’on puisse passer d’un monde à l’autre n’est fantastique
qu’en apparence ; la nécessité d’un tel passage ne fait aucun doute pour
qui a un regard lucide et franc sur cet objet, pour ceux qui voudront prendre
en considération toutes les difficultés qu’il y a à constituer une société
complètement morale, à redresser tous les maux et toutes les tares sociales,
car, en renonçant à conquérir l’espace céleste, nous devrons refuser de
résoudre le problème économique posé par Malthus, et plus généralement, refuser
à l’humanité une existence morale.
Qu’y a-t-il de plus fantastique ? Penser à la
réalisation de l’idéal moral dans la société et fermer les yeux sur l’énormité,
l’immensité des obstacles placés sur son chemin, ou bien reconnaître lucidement
l’existence de ces obstacles ? Bien sûr, on peut refuser aussi la morale,
mais cela signifie refuser d’être un homme. Qu’y a-t-il de plus
fantastique : la construction d’une société morale sur la reconnaissance
d’autres êtes dans d’autres mondes, sur la reconnaissance que migrent vers ces
mondes des âmes dont nous ne pouvons même pas affirmer l’existence avec
certitude, ou bien la transformation de cette migration transcendante en
migration immanente, en faisant de cette migration le but de l’activité
humaine ?
Dans l’histoire mondiale, nous ne connaissons pas d’événement
qui, menaçant de mort la société tout entière, réunirait toutes les forces et
ferait cesser toutes les discordes, toute la haine qui se trouve en elle. Dans
toutes les périodes de l’histoire, on observe une impulsion qui montre bien que
l’humanité ne peut se satisfaire des limites étroites de la terre, de ce qui
est seulement terrestre.
Ce qu’on appelle les transports extatiques, les élans
vers le ciel, sont les expressions de cette aspiration ; cela ne
prouve-t-il pas que tant que ne sera pas découverte une activité plus vaste,
non pas sociale mais naturelle, les époques de lucidité, de lassitude devant la
stérilité de ces aspirations, seront suivies de nouvelles époques
d’enthousiasme, de transports extatiques, de visions de toute sorte, etc. L’histoire
dans son ensemble se résume à ce genre de passages stériles d’une disposition à
une autre ; notre monde peut servir de démonstration encore plus
convaincante de ce qui peut être dit, car maintenant, nous voyons à côté de
l’avènement du « royaume d’ici-bas » dans toute son existence la plus
sale, le royaume de Dieu sous les formes de l’auto-aveuglement…
S’il n’y a pas de passage réel, naturel, vers d’autres
mondes, il y aura des transports extatiques, fantastiques, on s’enivrera de
drogues. D’ailleurs, même l’ivrognerie la plus banale, le plus souvent, a comme
origine le manque d’une activité plus vaste, plus pure et plus absorbante.
Trois questions particulières, sur la régulation des phénomènes atmosphérique,
sur la maîtrise du mouvement de la erre, et sur la recherche de nouvelles
terres, font partie de la question générale qui consiste à se prémunir contre
la faim, la question alimentaire, ou plus exactement, celle qui consiste à
rendre la vie aux ancêtres.
Comment la communauté remontant au même ancêtre —
fût-elle constituée de personnes qui ne sont pas de la même famille, elle a une
origine commune —, abordera-t-elle une autre question essentielle : la
question sanitaire ou hygiénique, nous pensons surtout à la question des
inhumations ? Cette question devient de plus en plus importante… Plus les
contacts deviennent étroits et diversifiés, plus s’étendent les épidémies, les
maladies, quelle que soit la sensibilité des différentes nations aux maladies.
L’obligation qu’a chaque être humain de participer à la résolution de cette question se fonde sur le fait qu’il n’y a pas d’homme qui, dans sa vie, ou après sa mort, n’ait pas accru les risques d’épidémie. Et les spiritualistes, qui ne font pas exception, car eux aussi produisent de la pourriture, ne peuvent pas se considérer comme exemptés de cette obligations ; les matérialistes, eux, qui pensent que leur enseignement est le plus sensé, n’aurait raison qu’une fois qu’ils se donneront comme tâche de restituer sa vie passée à la matière putréfiée et ne seront pas les instruments de production de matière au sens médical.
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