« You’re the all-singing all-dancing crap of the world »

Sonorama : Hey Pig ! par Nine Inch Nails.

Source : L’Échange impossible par Jean Baudrillard, éditions Galilée.

Dokumenta de Cassel, 1997 : installation de la Porcherie. Hissés sur la pointe des pieds, devant une palissade, les spectateurs plongent leur regard sur un enclos à cochons, un grand miroir leur faisant face de l’autre côté, où ils peuvent se voir observant les porcs. Puis, ils contournent l’édicule et s’installent derrière le miroir, qui se révèle un miroir sans tain, à travers lequel ils ont vue de nouveau sur les porcs, mais simultanément sur les spectateurs d’en face qui regardent les porcs. Lesquels ignorent ou du moins font semblant d’ignorer qu’ils sont observés. Telle est la version contemporaine des Ménines de Vélasquez et de l’analyse par Michel Foucault de l’âge classique de la représentation.

Non seulement les gens ne veulent plus être représentés, mais ils ne veulent même plus être « libérés. » Libérés de quoi et en fonction de quoi ? Contre quoi échanger cette liberté ? Qu’est-ce qui s’échange dans le système de représentation ? C’est cette impossibilité de trouver un équivalent en acte de cette liberté et de ce droit à la représentation qui constitue aujourd’hui l’échec du politique. Pourquoi se donner le mal de signifier et de prendre un sens quand tout circule si vite que rien n’a le temps de s’échanger en valeur ? Pour vouloir ce que les hommes veulent aujourd’hui, ils n’ont pas besoin d’être libres, pour dire ce qu’ils ont à dire, ils n’ont pas besoin d’être représentés. Pour être ce qu’ils sont, ils n’ont même plus besoin de se reconnaître comme tels.

D’où l’abstention grandissante, épidémique, pas seulement électorale, celle-ci n’est qu’un symptôme ; l’indifférence larvée, l’indifférence virale, elle-même en voie d’infecter le système et d’en effacer le disque du. Tout cela était déjà là il y a vingt ans ou trente ans, dans l’analyse du silence des masses comme déni de représentation, comme désaveu de la liberté politique. Mais dans ce monde effréné, l’agonie du système politique est d’une lenteur mortelle. C’est ainsi que nous vivons dans un monde qui n’est plus le nôtre, mais dont nous restons complices dans la plus totale ambiguïté.

Sujets en proie au fantôme de leur existence et de leur liberté, sujets désormais insolvables, en proie à une dette insoluble, car il n’y a plus personne pour racheter cette dette, ni de cause à laquelle faire le sacrifice de sa vie.

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