Source : La Fosse de Babel par Raymond Abellio, éditions Gallimard, collection L’Imaginaire.
Rien ne s’éclaire tant qu’on ne se rend pas compte que l’homme et la femme idéalement accomplis disposent respectivement de deux formes de plaisir entièrement différentes et non commutables, dont l’une prend l’aspect de l’explosion et de l’éclatement soudains et est réservée aux hommes, de ce côté du monde, mais dont l’autre prend celui de la lente et durable submersion et est réservée aux femmes, mais de l’autre côté, dans une dissolution des limites contre laquelle la femme moderne proteste de toutes ses forces et que seule la femme originelle accepta ou subit, avant que le péché de séparation la rejetât vers ce qui est pour elle le mauvais côté, du côté de l’homme, à l’aube trouble du jardin d’Éden.
Et de même qu’il y a deux déluges, le déluge par le feu, qui est instantané et le déluge par l’eau qui remplit l’éternité des quarante jours, le spasme de l’homme et le plaisir de la femme, irréductible l’un à l’autre sont donc respectivement de la nature du feu et de celle de l’eau et doivent être acceptés comme tels, sans vaine confusion ni perversion. Mais il y faut une conscience exacte, aigüe dans le cas de l’homme, dilatée jusqu’à se perdre dans le cas de la femme, ce qui suppose dans les deux cas, une totale mais inverse conversion des pouvoirs, car le déluge par le feu est plénitude du temps, tandis que le déluge par l’eau est plénitude de l’espace. Cette conversion est-elle possible à la femme moderne ?
Telle est la question. Mais, soyons honnête : est-elle aussi possible à l’homme ? Les extrêmes se répondent et tout converge une fois de plus sur l’énigme de l’omnipotence. Mais comme les femmes d’aujourd’hui obscurcissent et dénaturent cette énigme ! Une femme primitive, dans son plaisir continu, à la fois périphérique et global, accepte la durée et le prolongement du plaisir de l’homme, en dehors du spasme, mais dans la possession. Une femme cérébrale y voit au contraire très vite la marque de l’impuissance. Elle n’accepte et même n’exige le prolongement de la durée que dans la caresse. Et si on va jusqu’à lui dire que l’homme avancé est justement celui qui sait retenir et maîtriser son spasme, et même l’annuler ; car la répétition animale des paroxysmes est la négation et la parodie du paroxysme même ; ces paroles véridiques ont pour elles le son d’une langue inconnue.
On parle de synchroniser les plaisirs. Jamais mots plus savant ne cacha vanité plus propice à la montée des antagonismes et à l’exaltation catastrophique du temps. Vanité des femmes de vouloir jouir. Vanité des hommes de savoir les faire jouir. Est-ce donc chez les hommes une science ? Certes. Mais, au-delà de la science qui se connaît, c’est celle qui se refuse et même qui se nie qui devient la science des sciences. Savoir faire jouir les femmes, savoir refuser de les faire jouir, tout est là.
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