« Tabbûr eretz »

Source : L’Art de l’icône par Paul Evdokimov, théologie de la beauté, éditions Desclée de Brouwer

Quand le Christ dit à la femme Samaritaine : « L’heure vient où vous n’adorerez plus le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. » (Jean, 4, 21), il parle de Lui-même comme du lieu sacré omniprésent qui abolit l’exclusivité de tout lieu empirique.

Dès lors, toute visite d’un temple est déjà un pèlerinage au lieu sacré. Ce qui explique la pluralité des lieux gardant chacun le sens du centre, justement parce qu’ils ne sont pas des centres géographiques mais cosmiques, situés non pas sur l’horizontale, mais sur la verticale qui unit tout point à l’au-delà. Ainsi, c’est en partant de l’omniprésence du temple que la bénédiction de l’huile, du pain et du vin et du blé sacre ces éléments sur toute la surface de la terre, et de même pour la bénédiction des « quatre côtés » du monde lors de l’Élévation de la croix.

Ces lieux axiaux sont ceux où tous les niveaux communiquent, le souterrain, la terre, et le ciel ; leur image est la Montagne sainte, l’Arbre cosmique, le Pilier central ou l’Échelle. Ainsi, le Mont Thabor, venant probablement de « tabbûr » qui signifie nombril, de même que le Mont Garizim, nommé « nombril de la terre » (« Tabbûr eretz », Juges, 9, 37) C’est pourquoi selon la tradition rabbinique, la terre d’Israël n’a pas été noyée par le déluge.

Dans une tradition chrétienne, c’est le Golgotha qui est le centre du monde, c’est là qu’Adam a été créé, que la Croix s’est élevée, et à son pied se trouvait la tombe d’Adam, sujet iconographique fréquent. De même, la racine de l’Arbre cosmique descend jusqu’à l’enfer, son sommet touche le ciel, ses branches symbolisent les différents niveaux célestes ; l’apôtre Paul ayant été élevé jusqu’au troisième Ciel.

Dans le Livre des Mystères, saint Maxime le Confesseur souligne bien la coexistence par transcendance des niveaux cosmiques : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ; puis, comme ce qui est pour nous la terre ne diffère en rien pour lui du paradis, il apparut de nouveau sur cette terre et y conversera avec ses disciples. »

Les écrits rabbiniques attribuent à Adam une taille gigantesque tandis que dans les Apocryphes et dans le Pasteur d’Hermas, c’est le Christ qui est le géant dont la tête dépasse les cieux. On le comprend car le Christ est l’archétype divin de ces images, c’est lui qui est l’arbre de vie et le centre cosmique. Origène dit : « L’Écriture décrit le Christ comme un arbre. » D’autre part, maintes images et par exemple la mosaïque du baptistère de l’Henchir Messouada identifient le Christ et la Croix.

Le même symbolisme se trouve dans les croix dites « vivantes » : les extrémités de la Croix sont couvertes de rameaux et se terminent par des bras humains. L’un ouvre la porte du ciel, l’autre brise les portes de l’enfer. Lors de l’exaltation de la Sainte Croix, nous entendons : « L’Arbre de vie planté au Calvaire (identification de l’arbre édénique et de la Croix) s’est élevé au centre de la terre et sanctifie jusqu’aux extrémités de l’univers. » La longueur et la largeur de la Croix s’étendent aussi loin que le Ciel.

Mais la figure biblique qui exprime le mieux la signification de ces images, c’est l’échelle de Jacob. Les anges la montent et la descendent. Le ciel est ouvert et l’échelle est appuyée sur le centre de la terre et puisque c’est le Christ qui est l’échelle, celle-ci jaillit de tous les lieux sacrés, centres innombrables. Jacques de Saroug dit : « Le Christ en croix se tenait sur la terre comme sur une échelle riche en échelons. » Catherine de Sienne le voit comme un pont dressé entre le ciel et la terre, tel l’arc-en-ciel, signe vivant de l’Alliance. 

Saint Éphrem écrit dans son hymne épiphanique : « Frères, contemplez la colonne, cachée dans l’air, dont la base repose sur les eaux et qui atteint la porte des hauteurs comme l’échelle que vit Jacob. »

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