Antiphrase

Source : Autobiographie de la douleur : Léon Bloy, écrivain et critique par Giovanni Dotoli, éditions Klincksieck.

Comme la langue des prophètes, celle du lieu commun dit toujours la même chose, l’envers et le contredit de la parole de Dieu. Les clichés centenaires du lieu commun correspondent » à quelque réalité divine. »

« Quand la sage-femme prononce que l’argent ne fait pas le bonheur et que le marchand de tripes lui répond avec astuce que néanmoins il y contribue, ces deux augures ont le pressentiment infaillible d’échanger ainsi des secrets précieux, de se dévoiler l’un à l’autre des arcanes de vie éternelle, et leurs attitudes correspondent à l’importance inexprimable de ce négoce. »

Le bourgeois le plus stupide est un prophète, à son insu, qui secoue les étoiles et les profondeurs de la Lumière, par les gouffres de sa sottise et Bloy de crier avec force :

« Car il est temps de le déclarer, la langue des lieux communs, la plus étonnante des langues, a cette particularité merveilleuse de dire toujours la même chose, comme celle des Prophètes. Les bourgeois, dont cette langue est le privilège, n’ayant à leur service qu’un très petit nombre d’idées, ainsi qu’il appartient à des sages qui ont réduit au minimum le fonctionnement de l’intellect, rencontrent nécessairement chacune d’elles à tous les entrecroisements de leur quinconce, à chaque tournant de leur bobine. »

Dans les lieux communs, les réminiscences évangéliques sont légion : « Le Bourgeois est un écho stupide, mais fidèle, qui répercute la Parole de Dieu, quand elle retentit dans les lieux bas ; un sombre miroir plein de reflet de la face renversée de ce même Dieu, quand il se penche sur les eaux où gît la mort. J’ai ajouté que cela me semblait terrible. Et voilà tout. »

Bloy sait que le lieu commun dit l’indicible. Le lieu commun n’est pas une écriture gratuite, de la servante ou de l’intellectuel bourgeois, mais signe de l’Écriture, texte abrégé de l’Absolu, à l’envers. « N’oublions pas que le lieu commun qui nous occupe est une contre-vérité, une antiphrase chargée de mystère, et qu’il peut cacher la mort. »

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