Source : L’Art de l’icône par Paul Evdokimov, théologie de la beauté, éditions Desclée de Brouwer
L’Icône se tiendra un peu à part, comme la Bible se placera au-dessus de la Littérature et de la poésie universelle.
Sauf quelques exceptions, l’art tout court sera formellement plus parfait que l’art des iconographes, car, ce dernier, justement, ne cherche pas cette perfection. Son excès même nuirait à l’icône, risquerait de décentrer le regard intérieur de la révélation du Mystère, comme une poésie excessive et recherchée nuirait à la puissance de la parole biblique. La beauté d’une icône est dans un équilibre hiérarchique d’une extrême exigence. Au-dessous d’une certaine limite, ce n’est plus qu’un simple dessin ; au-dessus et suivant le génie contemplatif de l’iconographie, l’icône rayonne la stricte beauté conforme à son sujet, à Celui qui est, « Dieu des peintres des cieux et de ce qui est au-dessus des cieux », selon la parole de Saint Basile.
Expressif, l’art peut exprimer des contenus différents. Libre, il peut coïncider avec l’icône, telle une toile de Rembrandt, comme il peut s’éloigner de tout contenu religieux ; à la limite, il peut passer à la pure fonction de signe ou devenir objet esthétique seulement, de l’art pour l’art, décoration, enfin changer sa nature et cesser d’être un art.
Le grand art figuratif nous apporte la vision transfiguratrice des Maîtres. Il saisit la Sophia terrestre dans l’harmonie de ses deux aspects, réel et idéal, la chante et construit le Temple sophianique. Mais celui-ci, pour devenir réceptacle de la Beauté divine, doit s’ouvrir consciemment par la foi et la sainteté de l’homme à la lumière divine, à la Sagesse incréée. La Sophia créée n’est que le miroir ambigu, terni par la chute, de la Gloire, et c’est pourquoi l’art lui-même reste profondément ambigu.
Pour rencontrer la Beauté face à face, pour atteindre son rayonnement de grâce, il faut par une transcendance, par un dépassement du sensible et de l’intelligence, franchir les portes secrètes du Temple et c’est l’Icône. Ce n’est pas l’invocation mais la Parousie, la Beauté vient à la rencontre de notre esprit, non pas pour le ravir, mais pour l’ouvrir à la proximité du Dieu personnel. C’est la descente de la Sagesse céleste qui fait de la Sophia terrestre son rayonnant réceptacle, le Buisson ardent. L’art de l’icône n’est pas autonome, il est inclus dans le Mystère et ruisselle des présences sacramentelles. Il fait sienne une certaine abstraction, une certaine transfiguration.
Dans sa liberté de
composition, il dispose à son gré les éléments de ce monde dans leur
soumissions au spirituel ; il peut représenter la Vierge aux Trois Bras,
faire marcher un martyr tenant entre ses mains sa propre tête, donner à un
fol-en-Christ les traits d’un chien, mettre le crâne d’Adam au pied de la
Croix, personnifier le cosmos sous la figure d’un vieux roi et le Jourdain en
celle d’un pêcheur, renverser la perspective et faire culminer dans un seul
point tous les temps et tous les espaces. La lumière ici sert de matière
colorante pour l’icône, la fait luminescente pour elle-même, ce qui rend
inutile toute source de lumière, comme dans la Cité céleste de l’Apocalypse.
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