Source : Le Roi du monde par René Guénon, éditions Gallimard, collection Tradition.
Le terme Chakravartî, qui n’a rien de spécialement bouddhique, s’applique fort bien, suivant les données de la tradition hindoue, à la fonction du Manu ou de ses représentants ; c’est, littéralement, « celui qui fait tourner la roue », c’est-à-dire celui qui, placé au centre de toutes choses, en dirige le mouvement sans y participer lui-même, ou qui en est, suivant l’expression d’Aristote, « le moteur immobile. » La tradition chinoise emploie, en un sens tout à fait comparable, l’expression d’Invariable Milieu et il est à remarquer que, suivant le symbolisme maçonnique, les Maîtres se réunissent dans la « Chambre du Milieu. »
Nous appelons tout particulièrement l’attention sur ceci : le centre dont il s’agit est le point fixe que toutes les traditions s’accordent à désigner symboliquement comme le « Pôle », puisque c’est autour de lui que s’effectue la rotation du monde, représenté généralement par la roue, chez les Celtes aussi bien que chez les Chaldéens et chez les Hindous. Telle est la véritable signification du Swastika, ce signe que l’on trouve répandu partout de l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, et qui est essentiellement le « signe du Pôle » ; c’est sans doute ici la première fois, dans l’Europe moderne, qu’on en fait connaître le sens réel.
Les savants contemporains, en effet, ont vainement cherché à expliquer ce symbole par les théories les plus fantaisistes ; la plupart d’entre eux, hantés par une sorte d’idée fixe, ont voulu voir, là comme presque partout ailleurs, un signe exclusivement « solaire », alors que, s’il l’est devenu parfois, ce n’a pu être qu’accidentellement et d’une façon détournée. D’autres ont été plus près de la vérité en regardant le Swastika comme le symbole du mouvement ; mais cette interprétation, sans être fausse, est fort insuffisante, car il ne s’agit pas d’un mouvement quelconque, mais d’un mouvement de rotation qui s’accomplit autour d’un centre ou d’un axe immuable ; et c’est le point fixe, qui est, nous le répétons, l’élément essentiel auquel se rapport directement le symbole en question.
Par ce que nous venons de dire, on peut déjà comprendre que le « Roi du Monde » doit avoir une fonction essentiellement ordonnatrice et régulatrice, fonction pouvant se résumer dans un mot comme celui d’équilibre ou d’harmonie, ce rend précisément en sanscrit le terme Dharma. La racine dhri exprime essentiellement l’idée de stabilité, la forme dhru, qui a le même sens, est la racine de Dhruva, nom sanscrit du Pôle, et certains en rapprochent le nom grec du chêne, drus ; en latin, d’ailleurs, le même mot robur signifie à la fois chêne et force ou fermeté.
Chez les Druides dont le nom doit peut-être se lire du-vid, unissant la force et la sagesse, ainsi qu’à Dodone, le chêne représentait l’Arbre du Monde, symbole de l’Axe fixe qui joint les pôles.
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