« Il étendra ses racines vers le fleuve »

Source : Le Roi du monde par René Guénon, éditions Gallimard, collection Tradition.

Ceci amène une autre remarque : M. Vuillaud parle ensuite d’un mystère relatif au Jubilé, ce qui se rattache en un sens à l’idée de « Paix » et, à ce propos, il cite ce texte du Zohar (III, 52b) : « Le fleuve qui sort de l’éden porte le nom de Iobel », ainsi que celui de Jérémie (XVII, 8) ; « Il étendra ses racines vers le fleuve », d’où il résulte que « l’idée centrale du Jubilé est la reprise de toutes choses en leur état primitif. »

Il est clair qu’il s’agit de ce retour à « l’état primordial » qu’envisagent toutes les traditions, et sur lequel nous avons eu l’occasion d’insister quelque peu dans notre étude sur L’Ésotérisme de Dante ; et, quand on ajoute que « le retour de toutes choses à leur état premier marquera l’ère messianique », ceux qui ont lu cette étude pourront se souvenir de ce que nous y disions sur las rapports du « Paradis terrestre » et de la « Jérusalem céleste. »

D’ailleurs, à vrai dire, ce dont il s’agit en tout cela, c’est toujours, à des phases diverses de la manifestation cyclique, le Pardès, le centre de ce monde que le symbolisme traditionnel de tous les peuples compare au cœur, centre de l’être et « résidence divine », Brahma-pura dans la doctrine hindoue, comme le Tabernacle qui en est l’image et qui, pour cette raison, est appelé en hébreu, mishkan ou « habitacle de Dieu », mot dont la racine est la même que celle de Shekinah.

À un autre point de vue, la Shekinah est la synthèse des Sephiroth ; or, dans l’arbre séphirothique, la « colonne de droite » est le côté de la Miséricorde, et la « colonne de gauche », est le côté de la Rigueur ; nous devons donc aussi retrouver ces deux aspects dans la Shekinah, et nous pouvons remarquer tout de suite, pour rattacher ceci à ce qui précède, que, sous un certain rapport tout au moins, la Rigueur s’identifie à la Justice et la Miséricorde à la Paix. « Si l’homme pèche et s’éloigne de la Shekinah, il tombe sous le pouvoir des puissances (Sârim) qui dépendent de la Rigueur » et alors, la Shekinah est appelée « main de rigueur », ce qui rappelle immédiatement le symbole bien connu de la « main de justice » ; mais, au contraire, » si l’homme se rapproche de la Shekinah, il se libère » et la Shekinah est la « main droite de Dieu », c’est-à-dire que la « Main de Justice devient alors la Main bénissante. »

Ce sont là les mystères de la Maison de Justice (Beith-Din), ce qui est encore une raison de la désignation du centre spirituel suprême ; et il est à peine besoin de faire remarquer que les deux côtés que nous venons d’envisager sont ceux où se répartissent les élus et les damnés dans les représentations du Jugement dernier.

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