Source : Le Roi du monde par René Guénon, éditions Gallimard, collection Tradition.
Dans toutes les traditions, il est fait ainsi allusion à quelque chose qui, à partir d’une certaine époque, aurait été perdu ou caché : c’est, par exemple, le Soma des Hindous, ou le Homas des Perses, « le breuvage d’immoralité » qui, précisément, à un rapport fort direct avec le Graal, puisque celui-ci est, dit-on, le vase sacré qui contint le sang du Christ, le quel est aussi « le breuvage d’immortalité. » Ailleurs, le symbolisme est différent : ainsi, chez les Juifs, ce qui est perdu, c’est la prononciation du grand Nom divin, mais l’idée fondamentale est toujours la même…
À vrai dire, d’ailleurs, cette Tradition est plutôt cachée que perdue, ou du moins elle ne peut être perdue que pour certains centres secondaires, lorsque ceux-ci cessent d’être en relations directe avec le centre suprême.
Quant à ce dernier, il garde toujours intact le dépôt de la Tradition, et il n’est pas affecté par les changements qui surviennent dans le monde extérieur ; c’est ainsi, que suivant divers Pères de l’Église, et notamment Saint Augustin, le déluge n’a pu atteindre le Paradis terrestre, qui est « l’habitation d’Hénoch et la Terre des Saints » et dont le sommet « touche la sphère lunaire », c’est-à-dire se trouve au-delà du domaine du changement, identifié au monde sublunaire, au point de communication de la Terre et des Cieux.
De même que le Paradis terrestre est devenu inaccessible, le centre suprême, qui est au fond la même chose, peut, au cours d’une certaine période, n’être pas manifesté extérieurement, et alors, on peut dire que la Tradition est perdue pour l’ensemble de l’humanité, car elle n’est conservé que dans certains centres rigoureusement fermés, et la masse des hommes, n’y participe plus d’une façon consciente et effective, contrairement à ce qui avait lieu dans l’état originel ; telle est précisément la condition de l’époque actuelle, dont le début remonte d’ailleurs bien au-delà de ce qui est accessible à l’histoire ordinaire et profane.
La perte de la Tradition peut donc, suivant les cas, être entendu dans ce sens général, ou bien être rapportée à l’obscuration du centre spirituel qui régissait plus ou moins invisiblement les destinées d’un peuple particulier ou d’une civilisation déterminée ; il faut donc, chaque fois qu’on rencontre un symbolisme qui s’y rapporte, examiner s’il doit être interprété dans l’un ou l’autre sens.
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