« Est-ce que je vous en pose, moi, des questions ? »

Source : Baudelaire ou l’expérience du gouffre par Benjamin Fondane, préface de Patrice Beray, éditions Complexe, collection Le Regard littéraire.

Devant la carence de toute réponse « raisonnable », nous comprenons qu’on soit fatigué d’attendre, qu’on y ait renoncé, que l’on se soit dit : « à quoi bon ? il vaut mieux y renoncer ! » Mais le fait est là ; même si personne ne nous répond, nous ne pouvons pas cesser de questionner. Tant que notre moi sera là, il lui faudra vivre et le rationnel refuse de le laisser vivre, il n’est pas fait pour la vie. C’est donc du centre et non du dehors de la vie que l’esprit pose ses questions, il est intimement lié à la vie, ce sont les intérêts même de la vie de la personne qu’il considère au moyen de son expérience personnelle.

On peut traiter cette question avec ironie, avec humour, avec angoisse, avec violence, avec dépit, mais il est impossible de lui échapper. La vie postule une réponse à ses questions et, déçue, recommence, cherche une autre voie, d’autres moyens ; mais renoncer, cela lui est impossible. L’humour lui aussi est aussi bon que le sérieux et le désespoir aussi bon que la confiance. Si ce vieux mythe appelé péché originel a un sens, il veut dire : la réponse existe, mais nous ne savons plus questionner. On nous ouvrira si nous frappons mais nous ne savons plus frapper. Est-ce le Livre, ou le mythe scellé, qui le dit. Sans doute : mais aussi Kafka, comme s’il avait dû réinventer à nouveau la pensée de ce livre, et la mettre à notre niveau, dans notre propre langage de lecteurs de Hegel et des journaux.

[Comme dans l’apologue du Procès] la porte du sacré est ouverte pour chacun de nous, et pour chacun de nous seul ; elle n’est défendue que par la crainte que nous lui portons ; qui n’est rien d’autre que le savoir que nous avons du possible et de l’impossible. Il suffirait, semble-t-il, d’une simple initiative, d’un peu d’audace, du mépris du danger. Mais l’homme ne passera pas la porte ouverte pour lui seul, uniquement parce qu’il croit que l’audace, c’est la faute. Ce n’est que dans son tympan mort qu’il reçoit enfin la vérité, cette vérité sur lui-même qu’il n’avait su écouter le tympan vivant.

« Autrefois, je ne pouvais comprendre pourquoi ne je ne recevais pas de réponse à mes questions » avait écrit Franz Kafka.

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