Dans un ouvrage consacré au déchet, Cyrille Harpet a exploré l’étymologie sourde du champ sémantique de nos excrétions : il rappelle par exemple que la chassie des yeux vient du latin cacare, rapprochant ainsi l’humeur sécrétée au cours de la nuit des matières excrémentielles. De même, cette onomatopée déguisée qu’est le mot crachat est-elle issue de cracare, un verbe formé sur le modèle de cacare où le préfixe cra- désigne ce qui est épais et sale. Le pus lui vient du radical pu, pourrir, une racine commune aux verbes pourrir et purifier qui rappelle l’ambivalence ancestrale entre les deux termes. Quant à l’origine obscure de morve, elle laisse soupçonner une complicité avec la mort.
Quelle conclusion peut-on tirer de ce rapide survol d’archéologie linguistique ? Un même soubassement fantasmatique relie les différentes figures de l’excrétion qui semble donner la mesure de toute chose. Singulière exception, les larmes seules échappent au dégoût. Loin d’être inutiles et d’apparaître comme des déchets, elles jouissent même d’un véritable caractère expressif, mais leur noblesse dramatique tient à certaines bornes qu’ignore la douleur, car la valeur émotionnelle des larmes se limite à leur pure liquidité translucide. Il suffit qu’elles se mélangent à nos excrétions nasales pour subir le sort assigné au vulgaire.
Julia
Peker : Cet obscur objet du dégoût
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