Source :
Jacob Frank et le mouvement frankiste 1726-1816, monographie d’après les
sources d’archives et de manuscrits, par Alexander Kraushar, éditions Hadès.
La tragicomédie d’Offenbach
approchait d’une résolution. Abandonnée de tous, seule face à son destin,
mademoiselle Ève s’attendait à un décret juridique et à sa mise en résidence
forcée. Parmi son entourage, il ne restait plus que sa dame de compagnie, l’adolescente
Paulina Pawlowska et son fidèle secrétaire Franciszek Wiktor Zaleski. Les
autres s’étaient dispersés dans le monde, ou étaient rentrés dans leurs pays,
très peu vivaient encore à Offenbach, éloignés de l’ancienne cour de Madame, se
nourrissant des miettes de sa table, et de son industrie.
Selon le témoignage
des plus crédibles et des plus anciens commensaux d’Offenbach avec lesquels j’ai
eu l’occasion de discuter personnellement et qui ont aujourd’hui plus de
soixante-dix ans, Mademoiselle Frank, dans les dernières années de sa vie,
passait ses soirées à émettre des prédictions en tirant le tarot, et à se
souvenir de sa sainteté enfuie. Apparemment, Pawlowska eut aussi une jeunesse
dorée : elle prétendait avoir dansé avec Napoléon dans les salons de
Varsovie avant de se rendre en Russie. La vieille dame que j’ai rencontrée
décrivait la bonté et la bienveillance de Mademoiselle Eve, sa miséricorde,
mais en même temps, elle assurait que les courtisans ne pouvaient s’approcher d’elle
qu’agenouillés, comme des chiens. « Wie
die Hunde sind die Leute zur Ihren Füssen gekrochen… »
L’ancien secrétaire
Zaleski n’était plus alors que le magasinier des pauvres frankistes à qui il
dispensait chaque jour de petites portions de pommes de terre, de gruau et de
riz, qu’ils mangeaient de leurs propres cuillères qu’ils sortaient de leur poche.
À l’appel des créanciers, le tribunal de la cour princière d’Isenburg avait l’intention,
dès le 7 septembre 1816, de procéder au scellé et à la revente des biens de
mademoiselle Ève, quand soudain la nouvelle tomba que Madame venait de décéder
au petit matin de ce même jour.
Ainsi, le 7
septembre 1816, le conseiller Kugler écrivait au prince Karol : « Ce
matin, mademoiselle von Frank est décédée et tout a immédiatement été scellé. Nous
devons prendre une décision à la demande des créanciers, quant à toutes ses
dettes… Que pourra-t-il être récupéré sur l’ensemble des actifs ? Toutes ses
dettes s’élèvent à 400 mille guldens. Les créanciers de von Frank qui me
rendent diligemment visite nourrissent l’espoir de récupérer de tels biens, ce
que je leur souhaite, mais j’en doute. »
Une légende
circulait parmi les habitants d’Offenbach et elle s’est maintenue jusqu’à
aujourd’hui comme quoi la mort de Mademoiselle Ève était fausse et qu’à la
place du cadavre, on avait placé une poupée dans son lit, qu’elle avait ensuite
été enterrée et qu’à la nuit tombée, mademoiselle Frank avait pris la fuite. Mais
d’après le constat des autorités et les scellés apposés sur tous les biens de
la défuntes, ces rumeurs semblent complètement infondées.
Sa dépouille fut bel et bien recouverte d’un catafalque, le visage légèrement masqué et après avoir cloué le couvercle du cercueil, on l’enterra dans l’ancien cimetière d’Offenbach, pendant la nuit, à la lumière des torches. À sa mort, c’est une comédie de presque un demi-siècle qui prit fin et qui, encore aujourd’hui, de par son caractère extravagant, ne cesse d’occuper l’esprit des chercheurs…
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