Gesamtkunstwerk

Les Kaldermann avaient mauvaise réputation dans le quartier. Dans l’immeuble, on disait d’eux qu’ils se livraient à toutes sortes de trafics et que les femelles de la tribu étaient des pies-grièches.

— Pourquoi des pies-grièches ? avait demandé Taniya

— Tu vas comprendre, lui avais-je expliqué, les pies-grièches sont des oiseaux, de jolis petits oiseaux, mais leur cruauté est, dit-on, très grande. Dans la mesure où l’on peut définir le comportement des animaux en termes humains. En tout cas, les pies-grièches sont de sacrés rapaces miniatures qui empalent leurs proies sur des épines pour se constituer ainsi un garde-manger.

— Merci pour la leçon, dit Taniya. Tu crois que les putains Kaldermann empalent leurs amants sur des épines, dans l’attente de les consommer ?

— Ma chère cousine (j’aimais insister sur le mot cousine, car cela donnait à nos relations un petit relent d’inceste qui n’était pas pour me déplaire. En fait, Taniya n’était qu’une cousine éloignée, comme je vous l’ai déjà dit) oui, ma chère cousine, j’ignore à quelles perversités elles s’amusent, mais je me suis laissé dire que ce sont de belles garces et elles font travailler mon imagination.

Kaldermann était musicien. Compositeur. Il paraît que sa musique était atroce. « Ses partitions sortent tout droit de l’enfer », avait déclaré un soir, lors d’une discussion de bistro mon ami Svörsen, mais il avait la réputation d’en rajouter. Si j’en croyais les critiques, cette musique avait également des admirateurs.

Daniel Walther : Cœur moite et autres maladies modernes

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