« Voici l’histoire du gosse qui traversait tous les miroirs »

 

Source : Le Miroir, symbole des symboles par Robert « Régor » Mougeot, éditions du Cosmogone.

Passer de l’autre côté de la surface de l’eau, c’est comme passer de l’autre côté du miroir. Viviane, le Dame du Lac des Contes du Graal, a son palais au fond de l’étang, c’est le royaume de féerie. De même, lorsque l’héroïne de la bande dessinée Iris de Comès passe de l’autre côté du miroir, les métamorphoses sont normales ; les héros possèdent la maîtrise des formes et les animaux qu’ils deviennent par instant dialoguent avec les humains.

Lord Pachtogue, héros de Jacques Rigaud, passe le miroir et le brise. Lorsqu’il se retourne, il se retrouve devant un autre miroir qu’il brise à nouveau en le traversant et cela continue indéfiniment. Cet homme doute même de son existence ; il va jusqu’à penser que c’est son reflet dans la glace qui a bâillé le premier. Il ne se reconnaît nulle part. L’autre côté du miroir, pour lui, vaut l’endroit. Il est tous les autres et n’importe qui. Il fait simplement partie d’une série de figure que le miroir duplique.

Pour Alice, l’héroïne de Lewis Carroll, passer de l’autre côté du miroir, c’est découvrir un monde féerique où les pièces du jeu d’échec, les fleurs, les insectes parlent. Comment s’y est-elle prise ? Pour elle, la glace se dissout « comme un brouillard de vif-argent » et lorsqu’elle saute avec agilité dans le salon du miroir, les livres qu’elle y trouve sont illisibles. « Pourtant, les livres du miroir ressemblent aux nôtres. Pas tout à fait, les mots vont de travers. Je le sais, oui, quand j’ai ouvert un de mes livres devant la glace, un livre, aussitôt, s’est ouvert dans le miroir. Si je le tiens devant une glace, les mots vont se remettre à l’endroit. »

Le monde du miroir imaginé par Lewis Carroll n’est ni absurde, ni illogique, mais en décalage ; il y a toujours une inversion, une symétrie, mais faussée. Ce que l’on voit n’est pas exactement ce que l’on croit que l’on est en train de voir. Le miroir n’est pas seulement quelque chose de transparent qui se contente d’inverser, ce n’est pas un monde à l’envers, mais un autre monde qui vu, différemment, apparaîtrait comme tout aussi vrai.

Il en est ainsi dans le film d’Ingmar Bergman À travers le miroir qui devait s’intituler La Tapisserie et qui raconte l’histoire d’une jeune femme malade sur le plan psychique, Karin, qui rencontre Dieu, croit-elle. En effet, « c’est un dieu qui lui parle » dans son enfermement. Il prend parfois pour elle l’aspect de son jeune frère Minus qu’elle entraîne ainsi dans son monde. Lorsqu’elle passe totalement de l’autre côté du miroir, dans la folie, son dieu lui apparaît sous l’apparence d’une araignée et son mari Martin, aidé de son père à elle, David, interviennent.

« Karin veut que Martin, son mari, adore le dieu qui pourrait autrement se montrer dangereux. Elle essaie de le contraindre. Il est finalement obligé d’appeler David à son secours et ils lui font une piqûre. Elle entre alors d’emblée dans son monde, derrière la tapisserie » résume Bergman. La maladie de Karin est montrée dans sa réalité : chacun vit dans son monde et Karin passe de l’un à l’autre des côtés du miroir qui sépare la réalité du monde imaginaire qu’elle s’est fabriqué et sombre finalement dans la folie. David se réfère à un Dieu qu’il n’espère plus, qu’il ne connaît alors que Minus avoue qu’il n’en a pas la connaissance.

« Non, papa, ça ne marche pas. Dieu n’existe pas dans mon monde. »

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