Pris sur Cesnur.org. L. Ron Hubbard le
gnostique (2) : sous l’influence d’Aleister Crowley ?, in.
Journal du CESNUR (2019) par Massimo Introvigne, traduction de
l’anglais par Nedotykomka, no copyright infringement intended.
L’opposition de Mitchell à la Scientologie tournait à
l’obsession. Plus tard, il dut s’en expliquer auprès de ses camarades
trotskystes qui doutaient de la nécessité d’attaquer ainsi Hubbard pour le bien
de la révolution prolétarienne. Au bout du compte, Mitchell persévéra et c’est
ainsi qu’il dirigea « le premier
journal trotskyste au monde à publier une pleine page d’attaque contre l’Église
de Scientologie de Ron Hubbard. » Après son premier article sur les
liens entre Crowley-Hubbard-Parsons, l’Église de Scientologie répondit par un
courrier au Sunday Times avec une
lettre que le journal hésita à publier, redoutant un procès. Voici la version
de l’Église :
« Hubbard a
rompu avec la magie noire aux États-Unis. En Californie, le Docteur Jack
Parsons était un expert gouvernemental en aéronautique et en missile. C’est lui
qui s’était impliqué auprès de l’ignoble mage noir britannique Aleister
Crowley, autoproclamé la Bête 666. C’est Crowley qui dirigeait une organisation
appelée l’Ordre des Templiers Orientalis (sic) partout dans le monde et il
menait des rites dépravés et inhumains.
« Le Docteur
Parsons dirigea l’obédience américaine sise 100 (sic) Orange Grove Avenue, à
Pasadena, en Californie. Il s’agissait d’une grande et vieille maison qui
hébergeait des hôtes à la demande, moyennant finances et où on vit se côtoyer
des physiciens nucléaires de Cal Tech. Les agences de renseignements fédérales
s’inquiétèrent de cette proximité sous le même toit ; aussi y
dépêchèrent-elles L. Ron Hubbard, qui était toujours un officier de la Marine
américaine, mais déjà reconnu comme philosophe et écrivain, afin qu’il mette
bon ordre à cette situation. Une fois installé dans cette grande demeure, Hubbard
était censé mener l’enquête sur les rites de magie noire et sur ce qui se
tramait là-bas ; il en fut effrayé.
« Parsons
écrivit à Crowley alors en Angleterre pour le prévenir de qui était Hubbard.
Crowley, la Bête 666, reconnut immédiatement un ennemi dans la place et avertit
Parsons par retour de courrier. Tout cela se démontre aisément au travers de la
correspondance exhumée par le Sunday Times. La mission de Hubbard fut couronnée
de succès, au-delà de ce qui était espéré. La maison se retrouva sens-dessus
dessous, Hubbard sauva une jeune fille dont ils se servaient et la bande de
mages noirs se retrouva dispersée, leur réseau détruit à jamais. Beaucoup de
physiciens qui y avaient appartenu figuraient parmi les 64 scientifiques les
plus en pointe ; ils furent estimés non fiables et publiquement démis de
leurs fonctions gouvernementales. »
Selon Atack, l’original de cette lettre fut employé
« au cours du procès des
Scientologues contre Gerald Armstrong en 1984 ; l’écriture est celle de Hubbard. »
Selon toute évidence, le fondateur de la Scientologie avait été contraint de
présenter rapidement une réponse à un article de journal en rassemblant par
écrit ses souvenirs sur des événements vieux de vingt-trois ans. Ce qui
explique des erreurs grossières comme d’appeler l’O.T.O. « Ordre des Templiers Orientalis »,
ou de se tromper sur l’adresse de la Loge Agapé et de faire de Parsons le chef
de l’obédience américaine de l’O.T.O. Mais ce sont là des détails… l’essentiel
de la lettre tient dans l’affirmation que Hubbard aurait infiltré la Loge Agapé
au nom des services secrets fédéraux américains.
Atack évacue cette thèse comme
« ridicule » ; son livre cherche à éreinter la Scientologie et
non pas à reconstruire une vérité historique factuelle remise en contexte. Au
contraire de l’historiographie habituelle de l’O.T.O., il néglige les relations
entre le père de Betty, Burton Ashley Northrup, avec les services de
renseignements de l’armée américaine — comme le documente Martin P. Starr dans Le Dieu inconnu (2003) — et la
possibilité que Hubbard les ait tuyautés sur Parsons. Que Hubbard ait joué les
espions ne peut être écarté, et dans le climat de la Guerre froide, cela
n’aurait eu rien d’inhabituel.
Comme J. Gordon Melton le remarquait dans Naissance d’une religion (2009), nous avons
ici affaire à deux versions contradictoires : l’O.T.O. affirme que Hubbard
était membre de la Loge Agapé et qu’il a trahi et volé Parsons — ce que ne
semble pas confirmer le dossier de la cour. Pour les Scientologues, Hubbard
travaillait pour le compte des services de renseignements et était impliqué
dans une opération assez importante censée mettre un terme aux activités
de magie noire de Parsons. Selon Melton, il est possible que les deux histoires
soient vraies, depuis leur point de vue respectif, comme deux perceptions authentiques
mais différentes de la même histoire.
Comment
Hubbard concevait la Magie de Crowley.
Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Tout le
monde s’accordera à reconnaître la complexité du personnage de Hubbard qui
s’intéressait à beaucoup de domaines. Selon toute évidence, bien qu’il ait
participé aux activités de Parsons, quelles qu’aient pu être ses motivations,
il en avait profité pour se familiariser avec les conceptions de Crowley. Dans
un discours prononcé le 5 décembre 1952, Hubbard déclarait :
« Bon, il
aurait tout aussi bien dire : je détiens des pouvoirs. Un magicien, du
moins les religions magiques du huitième, neuvième, dixième, onzième, douzième
siècle au Moyen-Orient étaient fascinante. Le seul équivalent moderne, ce
serait le trèfle à quatre feuille, mais c’est fascinant en soi et c’est ça le
sens de l’œuvre de Crowley, le regretté Crowley, mon très cher ami, lui qui
parvint à se constituer une œuvre d’art à partir de sa magie.
« C’est très
intéressant de se procurer une édition d’un livre, aussi rare que Maître
Therion, difficile à trouver, mais ça peut se faire… T-h-e-r-i-o-n. Maître
Therion par Aleister Crowley. Il signait du nom de La Bête. Le Nombre de la Bête,
666. Ou quelque chose du genre… Enfin bref, ce… Crowley a exhumé une quantité
de données sur ces antiques cultes à magie et il parvint à produire certains
effets… On peut agir sur les causes et les effets par un certain rituel.
« Si vous
disposez de ces données, vous pouvez en tirer un rituel et le rituel, c’est ce
que vous devez réaliser à des fins d’accomplissement, ce par quoi vous devez
passer, combien et quels gestes faire pour entrer en possession de ce que vous
voulez. Un rituel. Combien de gestes ou de mots prononcer afin de devenir
quelque chose d’autre. Voilà, c’est ça… et c’est un… chaque rituel est un cycle
d’une manière ou d’une autre. »
L’expression est pour le moins filandreuse et
imprécise. Hubbard n’a jamais rencontré personnellement Crowley. D’autre part,
le passage ci-dessus n’est pas un article, mais une transcription littérale
d’un discours. Il a également été prétendu que Crowley n’a pas écrit de livre
intitulé Le Maître Therion. En fait,
en 1916, il a publié à Londres un fascicule de quatre pages intitulé Le Message de Maître Therion, un texte
qui fut révisé et publié en 1918 dans les recensions du journal new-yorkais The International, avant d’être
réimprimé en 1943, avec des variantes, sous forme de brochure Liber II : Le Message de Maître Therion
par l’Église de Thélème (Pasadena) et la couverture mentionnait l’adresse 1003 South Orange Grove Avenue. C’est
sans doute cette édition, « difficile à trouver » que Hubbard lut à
Pasadena, d’où son appellation raccourcie « Le Maître Therion. »
La semaine suivante, le 11 décembre 1952, les souvenirs
de Hubbard devaient être encore frais lorsqu’il le mentionna de nouveau dans un
discours sur la liberté de religion. « Si nous croyons réellement à la
liberté de culte, déclarait-il en substance, alors, nous devrions également
l’accorder à des religions aussi éloignées du christianisme que celle de
Crowley. »
« La liberté
de religion est une expression très relative. Par exemple, vous vous retrouvez
dans ce pays avec une constitution qui garantit la liberté de religion, mais
bon sang… devinez ce qui se passerait si vous vous mettiez à adorer Baal ?
Eh ben… imaginez le déferlement dans les journaux. Si vous vous mettiez à
adorer Lucifer, ou n’importe quel des innombrables dieux… Un copain, Allistair
(sic) Crowley… hum… a atteint un degré de rituel très intéressant… Mes
aïeux ! La presse a joué au hockey avec sa tête pendant le reste de ses
jours. La Grande Bête — 666. Et tout ça parce qu’il avait une autre pratique
religieuse. Oui, mon bon monsieur. Sous notre constitution, vous pouvez adopter
n’importe quelle religion, pour autant qu’elle soit chrétienne. »
La « religion » de Crowley vaut comme une
sorte de test pour la liberté religieuse, mais l’approche de Hubbard n’est pas
hostile. Comment réconcilier les deux textes de 1952 avec la lettre au Sunday Times où Crowley évoquait « un ignoble mage noir » ? Sans
doute en 1969, Hubbard s’était-il davantage documenté sur les activités moins
avouables de Crowley et qu’il en avait conçu une opinion plus défavorable.
Autre possibilité, que je tiens pour plus
intéressante : Crowley était capable à la fois de comportements
« ignobles » que de « constituer une œuvre d’art » dans de
nombreux domaines. La lettre au Sunday
Times était clairement un communiqué de presse destiné à déjouer la
critique. Toutefois, un pourcentage important d’experts contemporains seraient
d’accord pour dire que Crowley manifestait, à la même époque, des traits de
caractère déplaisants ainsi qu’une capacité à rédiger des textes de magie, de
poésie ou des peintures, bien que dans ce dernier domaine, les avis diffèrent.
Un génie peut parfaitement être un individu peu recommandable.
Les détracteurs de Hubbard citent souvent un texte dans
lequel il s’exprime favorablement sur Parsons, dans le cadre d’une discussion
sur le nombre d’hommes d’affaires et de scientifiques que peuvent produire les
écoles pour les enfants à problèmes et les sous-diplômés.
« Soit dit
en passant, le gars à qui nous devons de vaillantes fusées et des systèmes de
décollage pour les avions en surcharge, bref, tout le décor de la conquête
spatiale, le gars qui fut également à l’origine du projet Aerojet en
Californie… le regretté Jack Parsons, eh bien, il ne correspondait pas à
l’image que nous nous faisons du chimiste. Il n’avait pas suivi de cursus
académique… Personne ne pouvait rien tirer de lui… Alors, on l’a envoyé chez ce
petit professeur qui avait ouvert une école… et ce dernier s’aperçut que Jack
s’intéressait aux expériences de chimie, alors, il l’a laissé fouiller dans le
labo en l’encourageant. Finalement, il est devenu une célébrité. Intéressant de
voir comme une éducation aussi désordonnée produit parfois de bons résultats. »
Ce discours ne contient aucune appréciation des
activités de Parsons dans la Loge Agapé et s’en tient au narratif prévisible
comme quoi, en dépit de débuts difficiles, Parsons est finalement devenu un des
plus importants ingénieurs en aéronautique de sa génération. Aucun collègue de
Parsons ne le lui dénierait et finalement, on ne voit pas très bien ce que
cette déclaration de Hubbard a de gênante. De même, que des occultistes
post-Crowley comme l’allemand Eugen Rosche aient lu et apprécié la Dianétique,
tout comme des milliers d’autres lecteurs, ne prouve en rien que Hubbard ait entretenu
des relations avec eux.
Ce qui est plus étrange en revanche, c’est la
contribution de Parsons à l’ésotérisme occidental. Certains de ses textes ont
trouvé une certaine audience, tout comme les œuvres qu’il produisit avec sa
compagne Cameron. Cependant, peu de spécialistes mettraient à égalité Crowley
et Parsons pour ce qui concerne leur production ésotérique. À ce jour, aucun
cours ou conférence universitaire ne mentionne Parsons comme un penseur
occultiste original et Hubbard n’en pensait pas moins : dans ses écrits,
il ne mentionne jamais que comme scientifique.
Secret
de polichinelle
D’un autre côté, il n’existe qu’une seule conférence où
Hubbard ait abordé en profondeur la théorie de Crowley quant à la magie. En
2019, Hugh Urban a publié un article dans la revue Gnosis — Connaissance de la
connaissance : néo-gnosticisme de l’O.T.O. à la Scientologie — dans
lequel il soulève un important problème : le cœur de la doctrine de
Hubbard « présente plus qu’une
simple ressemblance avec les croyances gnostiques des origines. » bien
qu’il s’agisse « moins d’un système
cohérent que d’un bricolage de sources hétérogènes. » En ce qui me
concerne, je citerai le chercheur italien Aldo Natale Terrin (2017) qui propose
une reconstruction des idées de Hubbard sous forme d’un système très cohérent
de gnosticisme moderne.
Urban aborde également le cas de Crowley, bien qu’il ne
tienne pas suffisamment compte de l’abondante exégèse contemporaine sur le
sujet, malgré sa propre collaboration à un ouvrage important des Presses
Universitaires d’Oxford : Aleister
Crowley et l’ésotérisme occidental, paru en 2012 et supervisé par Henrik
Bogdan et Martin P. Starr. Urban se contente de répéter à trois reprises que
Crowley était « ignoble »,
« le plus ignoble dirigeant »
alors que Parsons ne serait que « le
plus ignoble membre de l’O.T.O. californienne » Urban extrapole sur
les sources « gnostiques »
de la magie sexuelle de Crowley et nous livre quelques commentaires
intéressants
Si Urban est conscient de la floraison fin-de-siècle d’Églises
gnostiques en France, avec lesquelles Crowley entretenait des relations, il ne
mentionne pas que ces cénacles pratiquaient également la magie sexuelle et
qu’ils pourraient donc représenter une source d’inspiration plus proche que les
gnostiques de l’antiquité. Un cercle exerça une influence décisive : celui
de Lady Caithness, alias Marie Sinclair de Mariategui (1830-1895) et la magie
sexuelle ne devait pas lui être étrangère, comme le prouve l’article de Mario
Pasi (2006), paru dans Politica
Hermetica : Exégèse
et sexualité: l’occultisme oublié de Lady Caithness. On
pourrait également citer le KVMRIS belge parmi la longue série de mages rouges
mise en évidence par Jeffrey J. Kripal et Wouter Hanegraaff dans leur étude de
2008 : Eros et sexualité dans
l’histoire de l’ésotérisme occidental.
Urban croit également en une influence de Crowley sur
Hubbard mais les preuves qu’il apporte sont peu convaincantes, comme la croix
employée par la Scientologie et qui ressemblerait à celle employée par Crowley,
ou le « thetan, le terme clef
pour l’âme ou l’esprit » chez les Scientologues, « symbolisé par la lettre grecque theta, et
qui apparaît dans le mot-fétiche de Crowley, Thelema, ainsi que dans le sceau
de Babalon de l’O.T.O. »
En fait, « Thetan »
partage l’initiale grecque de Théosophie, de Théologie… ou de
Thermodynamique ! Sans oublier la ville de Thessalonique où les frères
Cyril et Méthode sont nés. Ce genre d’argument se retrouve chez Atack dont les
théories eurent une forte postérité : lui aussi établissait des
similitudes entre l’O.T.O., la Scientologie, les nazis, la franc-maçonnerie, bref
tous les suspects habituels des théories du complot et comme le remarquait
Umberto Eco, le problème de ce genre de théorie… c’est que leur symboles sont
présents quasi partout.
Selon Urban, les Scientologues tenteraient de
dissimuler à la fois les liens de Hubbard avec le gnosticisme et l’affaire
Parsons-Crowley. Sans aucun doute, ils évitent la publicité sur ce dernier cas,
compte tenu de la mauvaise réputation de ces deux personnages, mais, ils ne
nient pas pour autant cette association, ce que Urban finit par reconnaître.
Idem avec les liens gnostiques : c’est un secret de polichinelle. Hubbard
ne se prive pas de mentionner cette filiation dans ses écrits et définit la
Scientologie comme une « religion gnostique. »
Pour ma part, je pense que l’histoire de Jack Parsons
mêle la magie, la science et le sexe de sorte qu’elle a un aspect sensationnel
qui plaît aussi bien aux anti-sectaires qu’aux historiens : tous sont
hypnotisés par le fait que Hubbard mentionnait l’occultisme de Crowley dans sa
conférence du 5 décembre 1952, sans se concentrer sur son contenu. Pourtant, il
mérite l’attention.
La
ligne Washington Irving-Athanase Kirscher : un texte des débuts de Hubbard
(1939)
Nous allons voir comment Hubbard apparaît étonnamment
moderne, compte tenu de sa conférence de 1952. Bien avant que des historiens
comme Wouter Hanegraaff insiste sur cet aspect, en le systématisant, Hubbard
avait compris que la magie et l’ésotérisme occupaient une place importante dans
la pensée occidentale mais qu’elle avait été occultée. Hubbard ne s’en aperçut
que lors de son expérience avec la Loge Agapé. Les fictions de Hubbard nous en
apprennent beaucoup sur ses centres d’intérêt avant la Dianétique ; les
historiens qui regimbent devant ses nouvelles et ses romans de SF perdent des
éléments clef dans la genèse de sa « philosophie » ultérieure. Par
ses écrits de SF, nous savons que Hubbard s’intéressait à la magie bien avant
1945.
Les sources de Hubbard étaient essentiellement
littéraires et incluaient Washington Irving (1783-1859), le célèbre auteur de La Légende de Sleepy Hollow. Selon
Arthur Versluis, un des meilleurs spécialistes de l’ésotérisme aux États-Unis,
les romanciers du courant qui s’appelait American
Renaissance présentaient l’occultisme avec une certaine désinvolture pour
parer à la critique, mais ils croyaient bel et bien au surnaturel.
Irving était en relation avec Emma Hardinge Britten
(1823-1899), une personnalité dominante du spiritualisme américain. Une des
nouvelles [short stories] les plus connues de Hubbard s’intitulait Les Esclaves du Sommeil et parut en juillet 1939 dans Unknown Magazine avant de connaître une
suite, les Maîtres du Sommeil, publiée dans Fantastic
Adventures en octobre 1950. La première raconte l’ouverture d’une jarre
magique frappée du sceau de Salomon, en fait un talisman qui libère un « ifrit », une sorte de djinn du
folklore arabe, ce qui entraîne une série d’événements où le personnage
principal, le millionnaire américain Jan Palmer se voit transporté dans une
autre dimension où les esprits règnent sur les hommes.
Hubbard présentait Les
Esclaves du Sommeil avec une préface qui s’ouvre sur une longue citation des Contes de l’Alhambra de Washington
Irving :
« Encore un
mot pour les curieux. En notre époque de scepticisme, nombreux sont ceux qui
tournent en dérision tout ce qui a trait aux sciences occultes ou à la magie
noire, ceux qui ne croient pas aux effets concrets des incantations, de la
divination, des contre-sorts et qui affirment avec aplomb que de telles choses
n’existent pas. Pour de tels incroyants endurcis, le témoignage de l’histoire
importe peu, ils exigent des preuves empiriques, de leurs propres sens,
refusant d’admettre que de tels arts et pratiques aient jadis prévalu,
simplement parce qu’ils n’en voient plus trace aujourd’hui. Ils ne peuvent
comprendre que le monde s’étant voué aux sciences naturelles, le surnaturel y
est devenu superflu et obsolète, et que les dures découvertes de la technique
ont remplacé les mystères de la magie. Et pourtant, disent les rares initiés,
ces pouvoirs magiques existent encore, à l’état latent, inemployés par
l’ingéniosité humaine. »
Hubbard fait également référence à la « Cabala Sarracenia de Kirker (sic) » comme une source qui fait autorité quant aux
pouvoirs du Sceau de Salomon. L’historien allemand Mario Frenschkowski s’est
interrogé sur cette citation qui « intrigue
de nombreux scientologues » et qui se réfère « à l’œuvre de l’érudit baroque Athanase
Kirscher. » Frenschkowski établit à juste titre que l’orthographe
qu’emploie Hubbard pour le nom du célèbre jésuite est la même que celle
d’Irving, tout comme le Sceau de Salomon apparaît dans la Légende du Val dormant.
En revanche, il n’existe aucun traité de Kirscher
portant le titre de Cabala Sarracenica.
Le magnum opus de Kirscher Œdipus
Ægiptiacus répartit les symboles magiques en une gradation de douze degrés.
La Classe V s’intitule Cabala Sarracenica
et ce chapitre comprend la description du bon ou du mauvais usage des symboles
juifs et islamiques par les musulmans. Un des symboles est effectivement le
Sceau de Salomon et Hubbard mentionne bien la « Cabala Sarracenica de Kirker » et non le « livre de Kirker Cabala Sarracenica. »
Hormis la mauvaise orthographe, Hubbard ne se trompe pas beaucoup et il fait donc bien référence à un chapitre
précis.
La préface de l’auteur dans Les Esclaves du Sommeil, dans laquelle figure la reprise de La Légende du Val Dormant, importe pour comprendre les recherches de
Hubbard sur la magie, telles qu’il commença à les entreprendre dès 1939. Les
spécialistes d’Irving nous apprennent que lorsqu’il écrivit les Contes de l’Alhambra, il cherchait à
produire un livre qui se vendrait bien tout en préservant des légendes
hispaniques qui risquaient de se perdre. Irving se basait sur des contes
apocryphes du dix-huitième siècle attribués à des auteurs comme Cristobal
Medina Conde (1726-1798) ou Juan Velazquez de Echeverria (1729-1804).
Bien qu’il se soit probablement douté de leur côté
fabriqué, Irving tenait à les présenter comme une expression authentique de
l’esprit du peuple de Grenade et de la ville elle-même. Irving suivait une
approche orientaliste de la Grenade musulmane de jadis et de la ville telle
qu’elle était de son temps ; son attitude était à la fois simple et naïve,
mais elle laissait place à des réminiscences d’une sagesse antique. Écrire sur
la magie représentait pour lui une double stratégie de « dissimulation et
d’évasion », de « distanciation intérieure et de nostalgie
calculée. » Le ton est léger, mais s’impose au lecteur comme « crédible
et sincère » en termes de magie.
Il existe un parallèle flagrant entre les contes
d’Irving et les nouvelles de Hubbard : dans les deux cas, la magie se
déploie par la rupture d’un sceau et des notes de l’auteur accompagnent les
textes pour expliquer leur attitude face à la magie. Selon Frenschkowski,
« Hubbard aimait parler de magie
dans des termes frivoles et légers, ce qui ne signifie pas qu’il n’y accordait
aucune attention. » Il s’agissait probablement d’une stratégie, tout
comme dans le cas d’Irving et c’est ainsi que Hubbard conclut sa préface aux Esclaves du Sommeil : « L’homme a la nuque raide. Il préfère les
lois sa propre invention que de s’en remettre avec fatalisme à des explications
peut-être plus vraie mais infiniment plus simples comme celles que lui offre le
surnaturel, bien que ce soit ridicule de qualifier ainsi l’ensemble de tous les
djinns. »
De nouveau, des historiens de l’ésotérisme seraient
d’accord avec Hubbard pour considérer le « surnaturel » comme un
attrape-tout qui mêle aussi bien l’ésotérique que l’exotérique ; plus
important encore, la préface aux Esclaves
du Sommeil montre que, dès 1939, bien avant de rencontrer Parsons, Hubbard
s’intéressait déjà à la magie, assez sérieusement en tout cas pour atteindre
des conclusions qui lui permettraient par la suite d’évaluer les théories de
Crowley.
Hubbard avait compris que quelque chose ne tournait pas
rond dans la culture mainstream. Se
fier aux « lois inventées par l’humanité » ne permettait pas à tous
de résoudre leurs problèmes alors que la pensée magique et ésotérique avait
fourni des solutions pendant des siècles et était toujours présente parmi nous.
Ses « explications » avaient le mérite d’être « plus simples. » Dans certains cas,
« peut-être étaient-elles également
plus vraies. »
Que peut exactement la magie ? Hubbard répondit à
la question dans sa conférence de 1952 où il abordait Crowley. En magie,
« on peut agir sur la cause et
l’effet par un certain rituel », « on
peut toujours effectuer un rituel pour résoudre le problème que vous souhaitez »,
« chaque rituel est un cycle sous
une forme ou l’autre. » Rien d’étrange à cela. La plupart des
spécialistes reconnaîtraient qu’il s’agit d’une description pertinente du mode
de pensée magique et d’autre part, quel que fût son mode de vie, Crowley était
un parfait théoricien de ce domaine.
Bien sûr, on pourra toujours affirmer que la pensée
instrumentale scientifique donne de meilleur résultats, mais une chose est
sûre : Hubbard avait anticipé les conclusions qui s’imposeraient au
vingt-et-unième siècle parmi de nombreux spécialistes de l’ésotérisme.
Pourtant, il ne croyait pas que la magie pourrait résoudre les problèmes les
plus complexes de l’humanité. Ni le rationalisme étroit, ni la culture
dominante, ni la magie, ne le pourraient… il fallait compter sur autre chose de
neuf.
Conclusion :
Scientologie une super-magie ?
Au contraire d’Urban, je ne crois pas que Crowley fût
une source d’inspiration du Hubbard de la maturité et de sa conception du
monde. Par ailleurs, il est certain que Hubbard s’est inspiré des traditions
magiques de l’antiquité et cela, bien avant de rencontrer Parsons ou d’entendre
parler de Crowley Néanmoins, qu’il ait étudié la magie ne prouve pas qu’il en
ait accepté la doctrine. En avance sur son temps, Hubbard avait compris le rôle
historique de la magie comme un système de pensée qui traversait l’Histoire
occidentale, mais il en vint à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’un système
pouvant résoudre l’ensemble des problèmes fondamentaux de l’humanité.
Il existe un texte très clair de Hubbard à ce sujet,
publié dans le magazine Ability en
1957. Selon la prémisse, les êtres humains ressentent l’impression d’être pris
au piège dans une condition indésirable et dont ils cherchent à s’évader.
« Chacun de nous ne sait que trop
bien qu’il se trouve pris dans un piège nommé l’univers physique. En fait,
nous sommes pris au piège par nous-mêmes. » Bien sûr, on retrouve là
le schème gnostique de base de la Scientologie.
Selon Hubbard, au commencement, étaient les « Thétans », de purs esprits qui
créèrent la MEST, Matière, Energie,
eSpace et Temps, pour leur propre plaisir. Malheureusement, à la suite d’un
cycle d’incarnations et de réincarnations dans les corps humains, les Thétans
en vinrent à oublier qu’ils avaient créé le monde et ils se prirent pour
l’effet au lieu de la cause. En conséquence, ils restent captifs de l’univers
MEST, incapables de s’évader, tout en conservant la prescience d’une issue de
secours.
Selon Hubbard, toutes les religions de l’histoire ont
persuadé leurs fidèles qu’elles connaissaient l’itinéraire d’évasion :
« Expliquez-moi le succès du
christianisme. N’était-ce pas parce qu’il promettait une issue, une
évasion ? Eh bien, pourquoi ne pas s’évader. Si toutes les religions de
tous les temps ont prospéré sur ce principe, nous pouvons en déduire que c’est
ce que beaucoup de gens recherchent et qu’il y a quelque chose qui ne tourne
pas rond. »
Toutefois, de nombreuses religions n’ont pas tenu leurs
promesses. Pas plus que la science et la raison n’ont résolu les problèmes
existentiels les plus fondamentaux. Lorsque la Dianétique parut, affirme
Hubbard, certains crurent que cela « marchait » et les sortait de
nombreux et inextricables problèmes pratiques, comme une forme de magie. Mais
c’était une mauvaise interprétation. La magie en soi « n’ouvre pas la porte. » La
Scientologie est une « religion gnostique », mais non magique. Plus
précisément, elle se situe au-delà du rationalisme et de la magie. Elle prétend
à la fois être une explication claire du pourquoi nous sommes « pris dans une sorte de piège qui s’appelle
l’univers physique » et aussi la seule technologie qui permet de
sortir de ce piège. La Scientologie n’est pas magique, mais super-magique.
« Une
issue ? Oui, bien sûr. Nous avons la Scientologie à présent. Je l’ai
découverte et je l’ai développée. Je sais précisément comment ouvrir la porte.
Et à qui. Eh bien, oui, c’est la bonne nouvelle. Avant, on avait l’habitude de
s’entendre dire : si votre affaire se présente bien… ou si vous le souhaitez vraiment… Bien sûr que c’est ce que nous
voulons. Mais la magie ne suffisait pour ouvrir la porte. Il fallait une
super-magie pour libérer nos amis. »
Le rituel magique n’opère qu’à la condition d’y croire,
alors que, selon Hubbard, toute la beauté de la Scientologie tient en ce
qu’elle opère, « sans qu’on y croie
ou qu’on ait la foi. » Hubbard s’intéressait à la magie parce qu’elle
cherchait à s’affranchir les lois habituelles de la causalité, grâce à d’autres
formes de savoir, grâce à des rituels pratiques. Finalement, il en vint à la
conclusion que si une autre forme de pensée s’avérait nécessaire, il était
préférable qu’elle se fonde sur une technologie précise plutôt que sur des
rituels et il élabora un système tout autre.
Comme le notait Freschkowski, « la Scientologie ne procède pas par invocations magiques ou par des rituels, pas plus qu’elle n’utilise des sorts, ou les accessoires habituels de l’occultisme : la Scientologie est très différente de la magie et la magie n’est pas la clef pour comprendre ce à quoi elle cherche à parvenir. »
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