Opération Thétan VIII

 

Ill. : Going Clear par Lawrence Wright.
Pris sur Cesnur.org. Le Troisième Mur de Feu : la Scientologie et l’étude du secret religieux (1) par Hugh B. Urban, in. Journal du CESNUR, volume 20, numéro 4, (2017), traduction de l’anglais par Nedotykomka, no copyright infringement intended.

Ce niveau extraordinairement élevé dévoile la vérité que vous avez besoin de connaître sur vous-même et sur votre pouvoir en tant que Thétan Opérant, ainsi que l’accomplissement des buts de la Scientologie… Bientôt, vous allez franchir les portes qui ouvrent sur le plus haut degré et sur la révélation de la Vérité du Nouveau TO — OT VIII : Vérité Révélée (2001)

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Le secret au cœur du pouvoir est un puissant stimulus à la créativité, ce que Simmel appelait la « sublimation de la réalité » ; derrière les apparences, il se trouve une vérité plus profonde et cachée que nous pouvons qualifier de sacrée, voire de religieuse — Michael Taussig : Transgression. (1998)

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Les reportages sensationnalistes des médias et les révélations des journaux sur l’Église de Scientologie accordent beaucoup d’importance à l’aspect secret de ce mouvement religieux. L’Église de Scientologie a essuyé de nombreuses attaques au travers de documentaires comme celui de la BBC, Les Secrets de la Scientologie (2010) et bien d’autres. En dépit de cette scrutation médiatique, la bibliographie scientifique sur le rôle du secret dans la Scientologie reste mince, tout comme l’étude du défi épistémologique que représente la tentative de compréhension de l’intérieur de tels nouveaux mouvements religieux, en particulier des « mystères » réservés aux membres.

La Scientologie nous apparaît enveloppée dans plusieurs couches de mystères, de dissimulations et d’obscurités. Son fondateur, Lafayette Ron Hubbard (1911-1986) se montrait plutôt discret sur sa propre biographie et de nombreux détails sur ce qu’il en racontait se révélèrent faux. Ainsi, il passa les dernières années de sa vie en reclus, traqué par le FBI et par d’autres agences fédérales. L’Église de Scientologie avait développé sa propre agence de renseignement et dès le début des années soixante, se livrait à des « Contrôles de sécurité » destinés à détecter d’éventuelles menaces de subversion interne. Le « Bureau du Gardien » — c’est ainsi que ce service se nommait — se livra également à de la surveillance des services fiscaux américains et d’autres officines gouvernementales au cours des années 70.

Enfin, la Scientologie développa des formations internes à haut coefficient de secret, appelées Niveau Thétan Opérant ou TO, dans lesquelles étaient révélés les ultimes secrets de l’esprit humain et de l’histoire de l’univers. Dans l’ensemble, la Scientologie, au cours de ses première décennies, peut être décrite comme une religion de la Guerre froide qui reflétait et reproduisait à son échelle les pratiques de contrôle de l’information et de surveillance qui imprégnaient les États-Unis au cours des années cinquante et soixante.

Dans cet article, je me concentrerai sur un seul aspect des complexes enseignements de la Scientologie : le TO VIII, le dernier des niveaux opérants Thétan. Ironiquement, bien qu’il s’agisse du dernier niveau, le plus élevé et qu’il soit censé procurer « la liberté et le pouvoir complet de l’esprit humain », ce programme a peu retenu l’attention des historiens de la religion. À ce jour, l’essentiel de l’attention journalistique et scientifique s’est concentrée sur le célèbre narratif « Xenu » dont le dessin animé South Park a tiré une satire. En dépit de ses côtés les plus spectaculaires et controversés, ce narratif n’est pas le contenu le plus intéressant à avoir fuité dans les médias ; en fait, il ne représente que la partie visible de l’iceberg.

Une des questions qui m’intéressent le plus d’un point de vue théorique consiste en ce que j’appelle l’injonction contradictoire « double bind » éthique et épistémologique du secret. Comment quelqu’un d’extérieur pourrait-il réellement saisir le contenu d’une tradition secrète ou interdite aux profanes ? Ensuite, pourquoi quelqu’un devrait-il essayer ? Et comment un membre pourrait-il garder bonne conscience en révélant de tels secrets à l’extérieur ? Chercher à s’introduire de force dans les mystères d’une tradition étrangère n’est-ce pas en soi une forme de violence ou d’impérialisme intellectuel, voire, dans certains cas, une infraction aux droits de copyright ?

Selon moi, il n’y a pas de réponse à ce problème éthique, mais on peut imaginer des stratégies de contournement. Dans le cas de la Scientologie et du niveau Thétan Opérant, je suggère que nous nous détournions du contenu du secret pour nous focaliser sur les méthodes les plus visibles grâce auxquelles le secret est dissimulé ou révélé. Bien que nous n’en sachions pas long sur le contenu concret de ce niveau, on peut en dire beaucoup sur les tactiques par lesquelles l’information secrète est en partie diffusée, à la fois exhibée et dissimulée et comment une « aura de secret » se construit, se transmet et se protège.

Dans cet article, j’essayerai de retracer l’histoire d’un secret en isolant cinq moments de son histoire et cinq stratégies par lesquelles le savoir ésotérique de la Scientologie a été construit et transmis à partir de la fin des années soixante jusqu’à aujourd’hui.

À ce jour, il existe, bien sûr, un corpus conséquent sur le secret religieux et l’ésotérisme occidental, un domaine où les pionniers furent Antoine Faivre et Wouter Hanegraaff ; dans les lignes qui suivent, j’emprunterai des intuitions à des sociologues comme Georg Simmel ou Pierre Bourdieu en adaptant leurs concepts aux fluctuations de la Scientologie au cours de ces cinq dernières décennies.

Après une introduction consacrée aux origines de la Dianétique et de la Scientologie, j’aborderai le contenu controversé du TO, en particulier, le « Troisième Mur de Feu » ou TO VIII. Ensuite, je retracerai cinq moments-clés dans l’histoire de ce secret, à partir de la fin des années 60 jusqu’à l’époque présente ; comment le secret se transforma en « un secret vanté par la publicité » en « un contenu privé et ostentatoire » puis à une source de conflit, de responsabilité et de non-pertinence. Enfin, je suggère que le cas de l’Église de Scientologie nous fournit un aperçu dans l’étude historique comparative du secret religieux.

Le contexte du secret : depuis les débuts de la dianétique à l’Église de Scientologie

Les contenus Thétan Opérants apparaissent à une date assez tardive dans l’histoire de l’Église de Scientologie aux États-Unis : décembre 1953. Mais avant cela, Lafayette Ron Hubbard débuta sa carrière comme un auteur particulièrement prolifique de nouvelles de science-fiction ou fantastiques, au cours des années trente et quarante. Son rythme de publication était tel qu’il multipliait les pseudonymes : Winchester Remington Colt, René Lafayette, Légionnaire 148, etc. Or, il existe une continuité entre sa production littéraire et ses écrits scientologues ultérieurs qui incluent des space opéras, des évocations de la vie sur d’autres planètes, des races extra-terrestres et une cosmologie qui remonte à mille milliards d’années.

Il faut également signaler l’intérêt que Hubbard vouait à l’occultisme, à la magie et aux phénomènes paranormaux, des thèmes fréquents dans ses histoires des débuts. Au cours de sa carrière militaire dans la marine pendant la Seconde Guerre mondiale, Hubbard s’impliqua dans de nombreux rituels de magie avec un jeune ingénieur et spécialiste des fusées Jack Parsons (1914-1952) qui vivait en Californie du Sud.

Cet épisode, un des plus controversés de la biographie de Hubbard fait également intervenir Aleister Crowley (1875-1947) car Parsons appartenait à l’Ordo Templis Orientis et se livrait à des rituels qu’il appelait l’œuvre de Babalon et qui visaient à produire un « enfant magick » ou « moonchild », un rejeton surnaturel qui détiendrait des pouvoirs surhumains. Ces rites occultistes avaient pour but de trouver la femme qui servirait de partenaire à Parsons, puis de Lady Babalon, c’est-à-dire de mère porteuse. Selon les archives personnelles de Parsons, Hubbard aurait participé à ces cérémonies à partir de mars 1946 et même servi de « scribe » ou de voix à Lady Babalon qui s’exprimait à travers lui lors des séances.

La collaboration magique entre les deux mages fut de brève durée. Parsons et Hubbard fondèrent l’Allied Entreprise et avec la petite amie d’alors de Parsons, Elizabeth Betty Northrup (1924-1997), ils s’engagèrent dans une affaire qui visait à acheter des yachts sur la Côte Est pour les amener en Californie où ils seraient vendus. Hubbard prit la fuite avec la copine de Parsons et plus de 20.000$ que ce dernier avait investi. 

Le plus remarquable de toute cette histoire est que l’Église de Scientologie a elle-même reconnu les faits : dans un article publié dans le Sunday Times en 1969, l’Église affirma que ces rites eurent bel et bien lieu, mais que Hubbard avait en fait été envoyé en mission par les autorités pour briser ce cénacle de magie noire, ce qu’il fit, en sauvant par ailleurs Northrup. Néanmoins, aucune enquête indépendante ne vint jamais confirmer ces dires. Dans tous les cas, l’épisode doit rester en mémoire pour comprendre comment cette thématique occultiste resurgit dans ses écrits scientologues, y compris le niveau Thétan Opérant.

En 1950, Hubbard se détourna de la science-fiction pour créer une nouvelle science de l’esprit, la Dianétique, du grec dia et noûs, « à travers l’esprit. » La Dianétique postule que tous nos problèmes viennent de l’esprit et peuvent être résolus par une compréhension de l’esprit. La Dianétique rencontra un bref succès dans les années 1950-51 et le livre homonyme de Hubbard fut le premier guide de bien-être et de manuel de pop psychologie à atteindre le sommet des meilleures ventes du New York Times, où il demeura pendant de nombreuses semaines, engendrant une « folie dianétique » à travers les États-Unis… jusqu’en 1952 où la méthode fut rapidement remplacée par l’Église de Scientologie.

La Dianétique des débuts et l’Église de Scientologie procède selon une technique appelée « audition » dans laquelle un individu se soumet aux exercices d’un conseiller, un « auditeur » avec lequel il localise des régions de trauma et de douleur inconscientes, les « engrammes. » L’audition recourt à un instrument appelé « Compteur-E » ou électro-psychomètre, une sorte de détecteur de mensonge qui permet à l’auditeur de détecter les souvenirs douloureux  par un jeu de questions-réponses et en observant les mesures. Une fois ces engrammes détectés, une discussion s’ensuit avec l’auditeur, jusqu’à ce qu’ils soient « nettoyés » de l’esprit. Lorsque tous les souvenirs négatifs ont été traités, le patient atteint alors l’état dit « clair » où il se sent mieux physiquement, mentalement et sur le plan personnel

À la fin des années 60, Hubbard introduisit des niveaux de plus en plus complexes d’entraînement : Thétan opérant. Thétan désigne le soi spirituel ou identité réelle et un Thétan opérant est un esprit qui se libère peu à peu de l’univers matériel pour acquérir des capacités surnaturelles comme « l’extériorisation » ou décorporation, la clairvoyance, la télékinésie, selon une cartographie spirituelle connue sous l’appellation « Pont qui mène à la Liberté Totale » et qui commence par le niveau le plus bas « d’audition. » Officiellement, le « Pont » comprend quinze degrés bien que seulement huit soient connus à l’extérieur et on ignore si les sept autres ont été achevés avant la mort de Hubbard.

Une des critiques les plus fréquemment adressées à l’Église de Scientologie est le prix de ces enseignements, de plus en plus chers. À la fin des années soixante, le coût s’élevait entre 75$ pour TO1 à 875$ pour les niveaux plus élevés ; entre les années 70 et 90, le prix n’a cessé de croître. En 2009, les frais d’enregistrement variaient entre 6800$ pour environ 13 heures d’audition à 56.100$ pour 150 heures d’audition. Au-dessus du niveau TO III, les prix allaient de 7.800$ pour treize heures à 64.350$ pour 150 heures, etc. Le coût total dépendant aussi de la quantité d’heures d’audition dont le Scientologue a besoin pour évoluer d’un niveau à l’autre. En moyenne, atteindre le niveau TO VIII exigerait un minimum entre 350.000$ et 400.000$, sans tenir compte des cours, des livres et des autres équipements, comme le Compteur-E dernier cri, le Mark Super VII Quantum qui coûte… 4.650$ ! Les frais supplémentaires s’élevant à plusieurs centaines voire milliers de dollars.

Jusqu’ici, l’attention des médias s’es focalisée sur un seul niveau : l’OT III. Selon les fuites dans la presse qui se produisirent dans les années 80, ce niveau révélerait une histoire de l’univers qui remonterait à 75 millions d’années. Le Premier Mur de Feu aurait été extrêmement difficile à atteindre pour Hubbard en personne et il lui aurait révélé la raison des souffrances humaines sur cette terre. Selon la publicité, le TO III, ou Troisième Mur de Feu, représente « l’aboutissement d’une quête de grande ampleur : c’est ici que sont contenus les secrets d’une catastrophe originelle qui a produit le déclin de la vie tel que nous le connaissons dans ce secteur de la galaxieL’aboutissement du TO III est ni plus ni moins l’étoffe même des rêves : le retour à l’auto-détermination de soi et à la liberté intégrale. »

Dans ce narratif, l’agent principal se nomme Xenu, ou Xemu, et joue un rôle dans une histoire abracadabrante de Confédération Galactique, de bombes atomiques et de volcans, mais l’aspect le plus intéressant se situe au-delà de cette histoire souvent tournée en dérision. Le plus controversé des niveaux TO est le huitième, le dernier révélé par l’Église et qui serait la pièce maîtresse de l’enseignement de Hubbard, demeuré secret jusqu’au début des années 1990, lorsqu’un scientologue nommé Steven Fishman se retrouva au centre d’un procès extrêmement complexe, accusé d’une escroquerie visant à soutirer de l’argent pour se payer des séances d’audition. 

Au cours de ce retentissant procès, tous les documents TO furent révélés devant le tribunal, fuités dans la presse, puis publiés sur Internet. Au départ, l’Église de Scientologie réclamait les droits sur tous les textes présentés par Fishman, y compris ceux ayant trait au TO VIII, mais elle révisa ses charges en excluant la version TO VIII, présentée sous serment par Fishman, en affirmant qu’il s’agissait d’un faux.

À travers tout ceci se pose la question des niveaux qui vont de 9 à 15 et dont le contenu n’a jamais été révélé, mais que le dirigeant actuel de l’Église de Scientologie, David Miscavige affirme détenir. Dans une publicité en date de 1973, Hubbard déclarait : « Il existe peut-être 15 niveaux de plus au-dessus de TO VII, intégralement développés, et dont le contenu n’existe que sous forme de note confidentielle, dont la révélation dépend du niveau qu’auront atteint les personnes VI et VII. »

Le Troisième Mur de Feu : le témoignage de Fishman sur TO VIII.

Examinons le contenu de l’affidavit de Fishman, ses déclarations sous serment, en date du 5 mai 1980, au sujet du contenu du niveau TO VIII ; ce document porte la mention « Confidentiel » mais il est tombé dans le domaine public et aisément disponible sur la toile. Il s’agit d’un texte assez long parmi lequel je ne retiendrai que quelques paragraphes.

L’auteur du Troisième Mur de Feu se prétend le futur Bouddha Metteya ou Maitreya censé venir à la fin de cette ère cosmique, ce qui rappelle l’antécédent de la Société Théosophique qui avait proclamé que le jeune Krishnamurti (1895-1986) était cet avatar attendu. Hubbard lui-même, dans les années cinquante, s’était proclamé tel dans un document enregistré intitulé Hymne à l’Asie. Le document cité dans l’affidavit de Fishman s’intitule « OT VIII Series I » et provient du HCO Bulletin du 5 mai 1980, publication scientologue dans le Sussex ; l’introduction mentionne qu’il s’agit des recommandations posthumes de Hubbard à l’attention des étudiants du niveau TO VIII, lorsque le maître aura quitté son enveloppe terrestre.

« À l’exception du Bouddhisme originel, toutes les religions importantes sur cette planète, qu’elles soient monothéistes ou panthéistes furent des instruments d’accélération de ‘l’évolution de la conscience’ de l’esclavage dans lequel se trouvait l’humanité. Comme vous le savez, Siddhartha Gautama n’a jamais prétendu être autre chose qu’un homme. Ayant entrepris cette opération, il affirma qu’il reviendrait en tant que Metteya, prophétie qui sera en partie réalisée à la mort de L. Ron Hubbard. » Plus étonnamment, ce texte assimile Hubbard à Lucifer et à l’Antéchrist et là aussi, on peut détecter une influence théosophique. La mission de Hubbard en ce monde aurait été de nuire ou d’empêcher la Seconde venue de Jésus décrite dans l’Apocalypse. Le Christ s’intègre au space opéra de Hubbard : il est apparenté à une sinistre civilisation extra-terrestre, au sein d’une confédération galactique, les Marcabiens.

« Vous connaissez déjà les révélations, cette partie de la Bible où divers événements sont prédits. Pendant un bref laps, l’ennemi absolu du Christ, l’antéchrist, règnera et son emprise aura barre sur le monde… l’antéchrist représente les pouvoirs de Lucifer, le porteur de Lumière, Lucifer étant l’allégorie des puissances de l’illumination, la Confédération Galactique. Ma mission pourrait se résumer ainsi : accomplir la promesse biblique annoncée par ce bref interrègne de l’antéchrist. Au cours de cette période, se présentera une chance unique d’enrayer tout le scénario et d’empêcher l’atterrissage des Marcabiens ou Seconde venue, cette dernière étant censée, entre autres, provoquer une série de cataclysmes. »

Le texte se poursuit en critiquant avec sévérité le Christ, décrit comme un « amateur de jeunes garçons » et un caractériel : « Si j’ai marché sur les pieds des Chrétiens parmi vous, alors laissez-moi vous démystifier… le Jésus historique n’avait rien du Saint que d’autres en ont fait. Non content d’être un amateur de jeunes garçons, il était en proie à d’incontrôlables explosions de colère et de haine. » Enfin, et c’est peut-être le passage le plus étrange de tous le document, le texte se termine en annonçant la future incarnation de Hubbard sur terre où il reviendra non plus pour un but spirituel mais politique et c’est là le véritable secret.

« Je reviendrai parmi vous non plus comme un dirigeant religieux mais comme un chef politique : telles sont les prémisses de la tâche qui nous attend. Je ne serai pas reconnu de la plupart d’entre vous, mes agissements seront incompris… Voilà, vous êtes arrivés au secret que j’ai conservé en moi pendant toutes ces années. »

Il faut insister sur un point : initialement, l’Église de Scientologie revendiquait la propriété intellectuelle de l’intégralité du document présenté par Fishman lors de son témoignage, avant de se rétracter et de prétendre que c’était un faux. D’autre part, la version du document OT VIII qui a fuité lors de l’affaire Wikileaks s’avère complètement différente de l’affidavit de Fishman, ce qui achève de brouiller l’auto-proclamation de Hubbard comme antéchrist et son futur rôle politique. Même d’anciens scientologues parvenus à ce degré d’initiation ne sont pas d’accord sur l’authenticité du texte. Ainsi, l’ex-scientologue George Witek, alias George White, prétend que la moitié des TO du huitième niveau qu’il a interrogé prétendent que le texte provient de Hubbard et l’autre moitié pense que c’est un faux. Witek affirme quant à lui avoir reçu le véritable enseignement en 1988. En tout cas, l’antichristianisme demeure une constante, ce qui tendrait à prouver que Hubbard pratiquait toujours la magie et l’occultisme à la manière de Crowley.

Enfin, de nombreux ex-scientologues, comme Mark C. Marty Rathbun, qui fut lieutenant en chef de Miscavige avant de quitter l’Église, affirme qu’il n’y a aucun niveau supérieur au-dessus du huitième bien que Miscavige prétende qu’il attend le moment adéquat pour les révéler. En fait, nous avons affaire à un exemple extrême de ce que j’appelle « l’injonction contradictoire éthique et épistémologique de la culture du secret. » Non seulement, il paraît difficile de se prononcer sur le contenu des enseignements de la Scientologie, mais aussi sur leur authenticité, voire, à partir d’un certain degré, sur leur existence réelle.

L’histoire d’un secret, depuis les années 60 jusqu’à nos jours.

Encore une fois, il n’y a pas de solution simple : mon approche est double. Tout d’abord, je propose de détourner le sens de l’investigation du contenu vers les formes visibles de stratégies par laquelle le secret se construit, se maintient et se transmet.

Cela n’implique pas pour autant que le secret n’existe pas en lui-même, ni qu’il soit insignifiant, mais plutôt que, dans la plupart des cas, il est inconnaissable ou éthiquement problématique. En cela, je suis l’intuition fondatrice du sociologue allemand Georg Simmel comme quoi la culture du secret est une forme sociologique indépendante de son contenu. Même si nous ne pouvons pas nous prononcer sur le contenu du secret, nous pouvons en revanche décrire les formes par lesquelles il opère, les mécanismes et les stratégies grâce auxquelles l’information est dissimulée, révélée, et diffusée.

Ensuite, je m’attacherai à décrire l’histoire de ce secret particulier et les stratégies d’occultation employées à cinq moments différents de son histoire, à partir de la fin des années soixante jusqu’à présent.

To be continued…

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