Source :
Le Miroir, symbole des symboles par Robert « Régor » Mougeot,
éditions du Cosmogone.
Qui n’a entendu parler du miroir aux alouettes ?
C’est un piège très simple : une silhouette d’épervier piquetée de petits
miroirs ronds, découpée dans un morceau de bois et tournant autour de son axe,
bien orientée et visible de loin. Les alouettes se laissent prendre aux leurres
qui les attirent comme la lampe électrique hypnotise les phalènes. Même la
détonation du fusil ne les effraie pas. Ainsi en est-il de tous les crédules
qui se laissent appâter par des promesses fallacieuses et à qui la déconvenue
des autres ne sert point de leçon.
Parmi les illusions d’optique, il en est une
particulièrement séduisante. C’est le kaléidoscope, un dièdre de miroirs et
quelques pierres ou paillettes multicolores ! On remue légèrement ce
« tube aux mille fleurs » d’origine chinoise et des images
fantastiques et belles se succèdent, envoûtantes par leurs parfaites symétries.
Le monde n’est-il pas un extraordinaire kaléidoscope qui ne cessera jamais de
fasciner les humains ? Même les divinités peuvent être attirées par ces
sortes de leurres que sont les miroirs !
Au Japon, dans le Shintô, la religion prébouddhique, le
dragon céleste, symbole de l’esprit universel est le miroir sacré qui reflète
l’image d’Amaterasu Omi Kami, la déesse Soleil. Un miroir sans soleil et tout
est dépeuplé. Selon la légende, Amaterasu s’était retirée dans une grotte, la
céleste demeure de rochers, à la suite es actes sacrilèges de son frère. Les
conséquences pour le monde étaient terribles : la déesse étant enfermée
dans une grotte, le monde était plongé dans l’obscurité. Les dieux se consultèrent
pour trouver un moyen de faire sortir la déesse de sa retraite. »
Ils organisèrent un complot pour la troubler en lui
prouvant qu’on pouvait rire même en son absence et, pour aiguiser sa curiosité,
lui posèrent le piège de sa propre image. La déesse Ame No Uzume, en danse
devant la grotte, découvrit sa poitrine et baissa la ceinture de son kimono
jusqu’à son sexe et aussitôt huit cents myriades de dieux éclatèrent de rire.
C’est le grand vacarme, le charivari que l’on faisait jadis aux funérailles
pour rappeler l’âme dans le corps. Amaterasu, étonnée qu’on puisse rire en son
absence, entrouvrit la porte de la grotte et aperçut son reflet dans un miroir
qu’on lui tendit : de plus en plus intriguée, elle sortit de la grotte
qu’une divinité referma derrière elle. Le monde était sauvé.
Le kagami, nom donné à ce miroir, symbole de la pureté
parfaite, est donc l’attribut de cette déesse solaire et de ses descendant, les
empereurs du Japon, qui seuls peuvent prétendre posséder cet objet sacré. Il
est encore conservé dans un bâtiment spécial du Palais impérial. Mais Amaterasu
n’est pas la seule à s’être laissé prendre au piège du miroir. Dans la
mythologie grecque, les Titans se servent de jouets pour attirer Dionysos
enfant, une poupée articulée, une toupie, un miroir. Lorsqu’il prend le miroir,
Dionysos est fasciné par son reflet. Les douze Titans, ancêtres de la race
humaine, s’emparent de lui, le coupent en morceaux, le mettent à cuire et le
dévorent, à l’exception du cœur.
C’est à partir de ce cœur qu’il sera ressuscité. L’Enfant Divin, la totalité de l’univers, se regarde, se dédouble. Dès lors, le Un, livré aux forces du chaos, se fragmente, se divise, le monde se constitue d’apparences disparates, mais « une » en leur cœur, et par ce cœur se reforme l’unité du tout. Le cœur reste intact cependant : la dispersion est toujours suivie d’un rassemblement. La Manifestation n’est-elle pas ce divin kaléidoscope, ce divin miroir aux alouettes qui attire l’être dans le multiple, le magnétise à cette Terre sans que pour autant son Cœur ne quitte l’Unité puisqu’en fin de conte, nul n’est infidèle à l’Unité dans son Être essentiel.
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