Pris sur Culture.pl. Des
petits bonshommes verts chez les rouges, par Marek Kępa, traduction de
l’anglais par Nedotykomka, tous droits réservés à l'auteur.
Chaque
année au mois de mai, soucoupistes et ufologistes se rencontrent à Emilcin, un
petit village situé à l’Est de la Pologne, pour commémorer l’anniversaire d’une
visite extra-terrestre. En 2005, un monument y fut érigé, une sorte de
monolithe qui rappelle le film de Stanley Kubrick. Les touristes se rassemblent
autour de lui en proclamant qu’ils ressentent son énergie. « Oh, quelque chose
d’inexplicable est en train de se produire. » Le magazine en ligne
américain Atlas Obscura écrit à ce sujet : « Ce mémorial, un cube de
métal suspendu au sommet d’un rocher, commémore le plus célèbre cas d’abduction
de l’histoire de la Pologne, celui de Jan Wolski, censé s’être produit le 10
Mai 1978. »
En
fait, Wolski ne prétend pas avoir été enlevé, mais simplement invité à pénétrer
dans un mystérieux véhicule d’outre-espace. Selon le témoignage qu’il livra en
1978 dans un documentaire de la télévision polonaise : « Au seuil du mystère »,
ce paysan, âgé de 71 au moment des faits, conduisait sa draisine à travers la
forêt d’Emilcin lorsqu’il remarqua droit devant lui deux étranges personnages
qui sautèrent à bord de son chariot et commencèrent à lui parler dans un
langage inconnu. « Ils parlaient d’une voix douce, mais j’y comprenais
goutte. Lorsqu’on est arrivé à la clairière, c’est là que… bon, j’ai vu une
voiture dans le ciel. Comment qu’elle tient là-haut, que je me suis demandé… »
Le
mystérieux engin avait la taille d’un autocar, était entièrement blanc, équipé
de formes qui tourbillonnaient avec un bourdonnement. Heureusement, une échelle
permettait d’y accéder et Wolski répondit à l’invitation de ses hôtes qui lui
faisaient déjà signe à l’intérieur. Bien que les visiteurs aient la peau verte,
des doigts effilés et portaient des combinaisons moulantes, Wolksi ne se posa pas
trop de questions. L’intérieur de l’astronef ne comportait d’autre mobilier que
des bancs le long de murs nus. Les petits bonshommes verts demandèrent à Wolski
de se déshabiller et ils procédèrent à une sorte d’examen médical. Après leur
inspection à l’aide de pincettes, ils le remercièrent de son amabilité en lui
présentant de la nourriture à la saveur de miel. Mais Wolski n’avait pas faim,
alors, il se contenta de leur dire au revoir et très courtoisement, les
visiteurs hochèrent la tête.
Ce
récit, d’une rare stupidité il faut bien l’admettre, est néanmoins le plus
célèbre cas de rencontre du Quatrième Type en Pologne : elle fut popularisée
par Zdzisław Blania, un prétendu ufologue de Lodz qui enquêta sur l’incident
d’Emilcin.
Jusque-là,
Blania avait publié quelques articles sur les soucoupes volantes, passés
inaperçus. Mais dès qu’il entendit parler de Wolksi, il se précipita sur place
et fit tout ce qu’il put pour rendre l’histoire crédible, allant jusqu’à
engager un psychologue pour confirmer que Wolski était sain d’esprit et qu’il
ne mentait pas. Blania parvint à trouver d’autres témoignages pour confirmer la
présence d’un OVNI : un enfant de six ans prétendit avoir observé un objet en
forme d’autocar en train de planer au-dessus de la ville — depuis, les
déclarations de l’enfant se sont révélées une pure manipulation de
Blania.
A
l’époque, les médias relayèrent abondamment l’affaire et Blania se vit promu
expert, accordant des interviews à droite et à gauche. Dans le numéro du 6 juin
1978 du Courrier de Pologne, il déclarait à propos de Wolski : « Je crois
en la sincérité de son témoignage qui ne relève aucunement de l’imagination :
la manière dont il décrit les vêtements des visiteurs n’évoque rien de commun
dans la littérature sur les OVNI. »
Blania
rentabilisa son petit commerce en publiant des (mauvais) livres jusqu’à la fin
des années quatre-vingt-dix. Même le régime communiste appuya le bobard en
diffusant une émission à l’automne 1978 dont le succès fut tel qu'elle serait
citée en 1985 au Congrès d’Ufologie de Lublin, ville tout proche d’Emilcin.
L’affaire inspira également le célèbre dessinateur Grzegorz Rosinski, l’auteur
de Thorgal, qui a l’époque travaillait pour le magazine polonais Relax.
Lukasz Garlicki, un acteur et fan de comics, s’en souvient : « J’avais quatre
ou cinq ans quand j’ai lu pour la première fois cette bande dessinée dans Relax
et elle me fit une forte impression. Par la suite, à chaque randonnée dans les
montagnes Tatra, je m’attendais à rencontrer des aliens comme ceux de Wolski.
C’était tellement inhabituel de lire ce genre d’histoire dans un décor de la
campagne polonaise. »
Roswell
se trouvait loin derrière le Rideau de fer et disposer de nos propres
extra-terrestres avait quelque chose de réjouissant. Aujourd’hui, les deux
principaux acteurs sont morts, Wolski en 1991 et Blania en 2003. La plupart
s’accordent à dire que Wolski n’aurait été qu’un mythomane et un alcoolique.
D’autres encore prétendent que toute l’histoire fut montée par le régime
communiste pour distraire l’attention du public des problèmes économiques.
Cette théorie est séduisante, mais les preuves manquent. A ce jour, personne
n’a pu établir la complicité des services de renseignements de l’époque.
En
2013, Bartosz Rdułtowsk publia une enquête : « Ovnis : les opérations secrètes
en République populaire polonaise » dans laquelle il « débunkait » les
manipulations de Blania. Le journaliste y développe une explication non moins
rocambolesque : toute l’affaire s’expliquerait par un règlement de comptes
entre ufologistes.
A
l’époque, Witold Wawzonenk, un autre ufologue polonais, originaire de Lublin,
aurait parié avec Blania que ce dernier ne parviendrait pas à lui implanter de
faux souvenirs par hypnose. Après une session au cours de laquelle un certain
Lech Stefanski aurait entrancé Wawrzonek, l’ufologue de Lublin se serait
réveillé dans un état de confusion mentale et, furieux, il aurait décidé de se
venger de Blania.
En
représailles, Wawrzonek, lui-même rompu à l’hypnose, aurait donc endormi le vieux
Wolski, profitant de cette stase pour lui implanter des faux-souvenirs et
amener ainsi son rival Blania sur une fausse piste. Ensuite, l’affaire lui
aurait échappé et tout le microcosme des ufologues, littéralement victime d’un
effet de contagion hypnotique, serait devenu sourd à ses claquements de
doigts.
« La vérité nous émerveillera », proclame l’inscription du mémorial d’Emilcin.
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