« Jesus, Satan, Hitler bought my soul »

 

Sonorama : Hollowman par Entombed
Source : L’idiotie par Jean-Yves Jouannais, éditions Flammarion, collection Champs art.

Dans De Kafka à Kafka (1981), Maurice Blanchot s’entretient avec un Kafka qui ne devine pas encore qui il sera, un jeune homme qui n’est pas en mesure d’imaginer qu’une métamorphose va produire sa disparition. L’artiste : un sujet qui n’existait pas et qui n’en cesse pas moins d’exister au profit de son œuvre. « Voir la disparition », la sienne propre, et en être la volonté et la cause, telle est la formule que Blanchot propose de l’expérience littéraire.

« Voir la disparition » : quelque chose approchant l’hypothèse théologique, jugée hérétique que John Donne (1572-1631) avance dans son Biothanatos. Ce traité est considéré comme la première apologie quotidienne du suicide. Surtout, John Donne, afin de conforter sa théorie, y développe l’idée que le Christ s’est donné la mort. Il s’appuie en cela sur des passages du Nouveau Testament, dont le verset : « Personne ne m’ôte la vie, je la donne. » (Jean, X, 18)

Et Jorge Luis Borges de commenter : « Avant qu’Adam n’eût été formé de la poussière de la terre, avant que le firmament ne séparât les eaux d’avec les eaux, le Père savait déjà que le fils devait mourir sur la croix, et il créa la terre, et les cieux, pour servir de théâtre à cette mort future. Le Christ, selon Donne, est mort de mort volontaire et cela veut dire que les éléments, le monde, et les générations des hommes, et l’Egypte, et Rome, et Babylone, et Juda furent tirés du néant pour le détruire.

Peut-être le fer fut-il créé pour les clous et les épines pour la couronne de dérision et le sang et l’eau pour la blessure. Telle est l’idée baroque qu’on entrevoit derrière le Biothanasos : celle d’un Dieu qui édifie l’univers pour édifier son gibet.

L’œuvre d’art comme l’autre création, celle de Dieu, n’importeraient guère sous leur forme physique, mais existeraient sous l’espèce d’un prétexte, prétexte d’un lieu, effectivement, mais lieu théâtral et de convention où doit s’opérer le sacrifice. Un décor, en somme, ou un accessoire.

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