Chaque année est une forêt qui brûle

 

Dans un jeu qu’il pratiquait souvent, il s’exerçait à quitter l’état de torpeur diffuse qui parfois enveloppait ses sens, à intensifier la conscience de son identité dans la saveur unique de l’instant. Cela ne s’effectuait qu’à grand effort, par couches successives, mais non pas progressives, toute nouvelle montée ne faisant en partie que réparer ce qui se dégradait dans la précédente, tout nouveau sursaut comparable à la percussion d’un coup de gong se heurtant à quelque mystérieuse limite pour ensuite refluer.

Cette prise de possession de sa propre vie n’était ni sans douleur, ni sans danger, mais il s’y appliquait pourtant, ne fixant son attention sur ce qui l’entourait que pour mieux se convaincre qu’il voyait, qu’il vivait hic et nunc et même si le délai lui était chichement mesuré. Il tentait de capter une réalité qui lui échappait, de situer la notion de matière dans la notion de durée, deux chimères, et surtout de se placer lui-même par rapport à l’univers.

Il répétait cet exercice, le répétait encore, opiniâtre comme une vrille qui s’enfonce, comme une toupie tourbillonnant sur son axe. Naïve et vaine défense contre ce goût profond du néant, ce désir de sommeil qui était en lui.

Gabrielle Wittkop : Le Puritain passionné

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