L’arme est l’anti-monstre devenant monstre à son tour
mais matérialisant en toute hypothèse la volonté dirigée vers un but. Cela ne
signifie pas que l’arme doive être sans beauté. Au Japon, la lame des sabres ou
des dagues cérémonielles servant à la farouche boucherie du seppuku portait
d’imperceptibles ondulations en forme de nuages dont le nombre révélait
l’armurier. Le revolver, lui, a des reflets de scarabée, des luisances de
mouche à viande, de lugubres bleuités, des ombres dont on ne revient pas. Et la
balle, donc. C’est le gland tombant du chêne, le galet de David, la semence
catapultée de la balsamine éclosant en corolle pourpre. Les balles, dit-on,
qu’on coule avec l’aide du Diable et qui jamais ne manquent leur but ont
inspiré à Johann Strauss une polka. « Teufelskugeln » mais je pense
surtout au comte Jan Potocki limant jusqu’à la dimension voulue la sphère
d’argent qui surmonte le couvercle de sa théière et se la tirant dans la temps.
« Les murs de la pièce en furent tout éclaboussés. » Voilà ce qui
cause bien de l’ennui. Quant à la dernière balle, j’y pense souvent.
Gabrielle Wittkop : Les Héritages
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