Quand on aime la vie, on ne lit pas. On ne va guère au
cinéma non plus, d’ailleurs. Quoi qu’on en dise, l’accès à l’univers artistique
est plus ou moins réservé à ceux qui en ont un peu marre. Lovecraft, lui, en a
eu un peu plus qu’un peu marre.
En 1908, à l’âge de dix-huit ans, il a été victime de
ce qu’on a qualifié « d’effondrement nerveux » et sombre dans
une léthargie qui se prolongera une dizaine d’années. A l’âge où ses anciens
camarades de classe, tournant impatiemment le dos à l’enfance, plongèrent dans
la vie comme dans une aventure merveilleuse et inédite, il se cloître chez lui,
ne parle plus qu’à sa mère, refuse de se lever toute la journée, traîne en robe
de chambre toute la nuit.
Que fait-il ? Peut-être lit-il un peu. On n’en est
même pas sûr. En fait, ses biographes doivent convenir qu’ils n’en savent pas
grand-chose et que, selon toute apparence, au moins entre dix-huit et
vingt-trois ans, il ne fait absolument rien.
Michel Houellebecq : H.P. Lovecraft, contre la vie, contre le monde
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