Source :
Noir par Michel Pastoureau, éditions du Seuil.
Pourquoi le Petit Chaperon rouge, dont la plus ancienne version écrite est attestée dans la région de Liège au début du XIe siècle, est-il rouge ? Le rouge signalerait le sang qui va couler. C’est un peu court, même en affirmant que le loup, tout noir, c’est le Diable.
Plus
anachroniques, certains ont risqué une interprétation psychanalytique : ce
rouge serait celui de la sexualité ; la petite fille aurait en fait très
envie de se retrouver dans les bras du loup. Interprétation séduisante, mais trop
moderne. D’abord, le rouge n’a pas une connotation sexuelle dans la symbolique
médiévale. Ensuite, vêtir les enfants de rouge est une pratique qui remonte
très haut en milieu paysan, tout comme les vêtements de fête pour les femmes au
Moyen Âge. La plus ancienne version du conte dit que la fillette, née le jour
de la Pentecôte, serait dès sa naissance vouée au rouge, couleur de l’Esprit
Saint.
Restent les explications structurales : une
fillette vêtue de rouge transporte un objet blanc et rencontre un loup noir. Une
triade familière. Dans Le Corbeau et le Renard, un oiseau noir lâche un formage
blanc dont s’empare un renard rouge. Pendant tout le Moyen Âge, deux systèmes
semblent ainsi coexister : un axe blanc/noir, hérité de la Bible et des
premiers temps du christianisme ; et une tirade blanc-rouge-noir, venue
d’horizons plus lointains ou anciens. Cette triade peut se recomposer en trois
axes : blanc/noir, blanc/rouge et rouge/noir, et ce faisant s’adapter plus
facilement aux objets ou aux domaines concernés. L’histoire du jeu d’échecs en
est un exemple pertinent.
Né en Inde du Nord, probablement au début du sixième siècle
de notre ère, le jeu s’est diffusé dans deux directions : vers la Perse et
la Chine. C’est en Perse qu’il prend les caractères qui sont encore les siens
aujourd’hui. En soumettant l’Iran au septième siècle, les Arabes découvrirent le jeu,
l’apprécièrent et l’exportèrent en Occident. Il pénétra en Europe aux environ
de l’an mil, par la voie méditerranéenne (Espagne, Sicile) et par la voie
septentrionale : les marchands varègues commerçaient dans les régions de
la mer Noire et l’introduisirent en Europe du Nord. Mais pour se diffuser dans
toute la chrétienté, le jeu subit un nombre de transformations, notamment ses
couleurs. Il convient de s’y attarder.
Dans le jeu indien primitif puis dans le jeu
arabo-musulman, s’affrontaient sur un échiquier, un camp noir et un camp rouge,
deux couleurs qui en Asie forment un couple de contraires depuis des temps
immémoriaux. Mais en Europe chrétienne, cette opposition du noir et du rouge,
bien marquées aux Indes et en terre d’Islam, n’avait aucune signification. La
symbolique des couleurs l’ignorait totalement. Dans le courant du onzième siècle,
on changea donc la couleur de l’un des deux camps pour disposer d’une
opposition plus conforme aux valeurs occidentales, et l’on mit en scène sur
l’échiquier des pièces blanches affrontant des pièces rouges. A l’époque
féodale, en effet, l’opposition du rouge et du blanc représentait dans le monde
profane un couple de contraires plus fort que le blanc/noir, surtout à l’œuvre
dans le domaine religieux.
Pendant deux ou trois siècles, sur les échiquiers européens, s’affrontèrent ainsi des pièces blanches et des pièces rouges ; les cases elles-mêmes étant peintes dans ces deux couleurs. Puis, un nouveau changement s’opéra à partir du milieu du treizième siècle : lentement, pour l’échiquier d’abord, pour les pièces ensuite, on passa de l’opposition banc/rouge à l’opposition blanc/noir qui a perduré jusqu’à nos jours. Ainsi, en Occident, aux environs de l’an mil, le noir et le blanc ne sont pas toujours présentés comme un couple d’opposition. Non seulement, sur le plan culturel, le blanc possède un deuxième contraire, le rouge, parfois plus « performant » que le noir dans ce rôle ; mais dans la nature elle-même, rares sont les associations ou les oppositions du noir et du blanc.
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