Source :
Le Mal de Naples (5) : histoire de la syphilis par Claude Quétel, éditions
Seghers, collection Médecine et Histoire.
Dans Les demi-fous qui paraît en 1905 et dont l’avant-propos
est dédicacé au professeur Lacassagne, Michel Corday s’explique sur ce qu’il
appelle le « roman physiologique », mine féconde et inépuisable qui
consiste à mêler l’art et la science et qui permettra à long terme de « cultiver,
améliorer la race humaine, comme on cultive et comme on améliore des espèces
végétales et animales depuis des siècles. »
Dans Vénus, qui paraît en 1091, point de défense de la
moralité et de la continence et du mariage, mais un plaidoyer pour le plaisir
qu’entravent constamment la peur de la grossesse et celle de la syphilis. Mais
le message n’en prend que plus de force… Le héros, Léon Mirat, vague poète
vivant de ses rentes, est, comme il se doit, un grand amateur de femmes,
surtout de « l’espèce bulbeuse » ce dont son ami médecin s’inquiète :
« Mais certainement, mon cher, beaucoup de ces femmes sont dangereuses. Le
plumage est trompeur : souvenez-vous des perruches infectieuses. »
Mirat se moque, l’ami insiste, décrivant les ravages
sociaux des maladies sexuelles et allant jusqu’à confesser que son propre
frère, un fringant lieutenant, s’est suicidé après avoir appris qu’il avait
contracté la syphilis, d’où la vocation médicale de l’ami de Léon Mirat. Un
instant, Mirat est ébranlé : « Mirat ne répondit pas. D’instinct, il
entraîna son ami vers les régions lumineuses et vivantes des boulevards. Mais les
femmes lui apparaissaient maintenant à travers une terne brume, comme des
ennemies, non plus comme de fringants navires pavoisés, mais d’inquiétants vaisseaux de combat dont les flancs portaient la dévastation. »
Mais Mirat, un grand nombre de conquêtes plus loin,
attrape la syphilis quand mêe. Sans dire qu’il est lui-même atteint, il vient
se renseigner auprès de son ami qui est en train de chercher un vaccin contre
le terrible mal à l’Institut Pasteur. Il va être servi :
« Tout est possible de ce poison… il emprunte les
formes les plus imprévues, les plus déconcertantes. On dirait qu’il sait la
honte stupide qu’il inspire. Alors, il tue sous un déguisement. Il fait mourir,
par exemple, d’une obstruction intestinale, ou d’une jolie maladie de foie. On
n’en réchappe pas, mais l’honneur est sauf. Au moins, les survivants ne
rougissent pas du défunt… Voilà pour ses caprices. Mais il a aussi ses
habitudes. Il aime se montrer, voir le jour. Et alors, c’est tout le jardin des
affections cutanées, ces bourgeonnements, ces effroyables floraisons, ces
lupus, dont une visite à Saint-Louis, même au musée, t’offrirait de beaux
exemples. Mais surtout, vois-tu, le mal s’attaque à la substance nerveuse.
« C’est son régal, son blanc-manger. Il choisit
son endroit. Il rompt le réseau des nerfs à sa fantaisie. Il peut couper la
communication avec l’extérieur, supprimer les cinq sens. Et c’est déjà un assez
joli bouquet d’infirmités. Ou il s’amuse d’un homme comme d’un pantin. En
pinçant la ficelle au bon endroit, il le fait danser, sauter, tressauter, puis,
las de ce polichinelle, il le rejette, les jambes brisées. Et c’est l’ataxie.
Jeu plutôt cruel. Tu as déjà entendu parler des douleurs fulgurantes où la
foudre vous tombe sans cesse sur les reins. Ou bien, il s’en prend au cerveau,
morceau de roi. Et c’est la paralysie générale, le gâtisme dans toute sa
beauté, toute sa régularité. »
Imperturbablement, le médecin poursuit son exposé en
expliquant que le mal s’attaque à l’organe qui, travaillant le plus, est le
plus usé : « Les ouvriers sont pris par le muscle et les
intellectuels par les nerfs. » Les thérapeutiques étant vaines, la cause
est entendue. Léon Mirat finit par se suicider, mais, poète oblige, en allant
se jeter du haut d’une montagne.
Des ouvrages aussi pessimistes que ceux de Michel Corday n’ont pas peu contribué à augmenter la terreur de la syphilis dans les populations. Déjà, au début du dix-neuvième siècle, les médecins déploraient la « syphilomanie » de certains malades, mais que dire de la psychose qui s’installe au début du vingtième siècle ? Le corps médical déplore les méfaits de la « syphilophobie » qu’il a pourtant si bien contribué à installer et qui vont de l’angoissé qui assiège le cabinet de son médecin jusqu’à celui qui veut se suicider, en passant par ceux qui s’infligent des années durant d’extravagants remèdes tel ce « syphilophobe » qui « depuis vingt-six ans se cautérisait chaque jour lèvres, langue, gorge, nez au nitrate d’argent. »
Bref, écrit Alain Corbin, « la crainte excessive de la vérole formidable obstacle dressé face au plaisir prend le relais de celle du péché ; et c’est ce qui nourrit la syphilophobie alors très répandue. »
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