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Sonorama : Whore par Mayhem. Texte : Le Mal de Naples (3) : histoire de la syphilis par Claude Quétel, éditions Seghers, collection Médecine et Histoire.

En 1853, naît en Bavière Oscar Panizza, d’un père italien et farouche catholique, et d’une mère allemande et non moins farouche protestante. On ne s’étonnera donc pas que, parallèlement à d’honnêtes études de médecine, Panizza publie des poèmes antireligieux qui lui valent bientôt l’hostilité de l’Eglise et de l’Etat. Mais rien n’aurait laissé supposer le déferlement de haine que provoque en 1895 la parution du Concile d’amour, tragédie céleste, écrite, précise Panizza « sous la forme d’un mystère médiéval, mais avec des couleurs modernes. » La pièce est immédiatement retirée de la vente et vaut à son auteur un an de prison qu’il accomplit intégralement.

Exilé, poète maudit, Panizza, qui avait été médecin dans un asile d’aliénés à Munich de 1882 à 1884, ressent lui-même les premières atteintes de la folie. Sans tenter ici de nous essayer au jeu dangereux des diagnostics rétrospectifs, il est difficile de ne pas songer à l’hypothèse d’une paralysie générale. En effet, dans son autobiographie qui date de 1904, Panizza confesse avoir contracté la syphilis alors qu’il était étudiant « qui bien que soignée dans les règles de l’art se manifeste encore aujourd’hui sous la forme d’une gomme sur le tibia droit et résiste aux plus énergiques traitements à l’iodure de potassium. » Au début des années 1900, après une conférence en 1891 sur « Génie et folie », Panizza commence à développer un délire de persécution qui lui vaudra l’internement.

Or, le thème du Concile d’amour est précisément la syphilis et ce n’est pas le moindre mérite de son auteur que d’avoir tourné son propre mal en dérision à une époque où cette maladie provoquait une terreur absolue dans les populations. Et quelle dérision… La pièce coûta un an de prison à son auteur, c’est une énorme farce blasphématoire qui propose d’expliquer à sa manière l’origine de la syphilis qui éclate en Europe en 1495. La pièce est dédiée à Ulrich von Hutten qui fournit l’exergue de cette « tragédie céleste » : « Ce plut à Dieu d’envoyer à nostre temps maladyes qui à ce que bien sçavons ne feurent poinct cognues de nos ancestres. Lors dirent ceux qui ont la garde des Sainctes Escriptures que vérole venait de la colère Divine. »

Nous voici donc au paradis, au printemps 1495. Un dieu le père complètement sénile y règne, flanqué d’anges hypocrites et malfaisants, d’un Jésus débile et dépressif, d’une Vierge Marie très affranchie et même un peu salope. Le seul bon bougre là-dedans, c’est le diable. Un messager ailé arrive au Ciel pour informer Dieu qu’à Naples, il se passe des choses horribles : « La ville, assiégée par le roi des Français, s’adonne au plus ignobles vices. Les femmes, le sein nu, courent, lubriques, à travers les rues. Les hommes brûlent d’une ardeur de bouc. Le vice répond au vice. » Qu’a défaut d’extermination on envoie au genre humain un châtiment exemplaire, mais lequel ? Le diable, expert ès vilenies, est convoqué par Marie qui lui annonce : « Nous avons décidé une vengeance bien sentie style déluge, un poison, qui puisse endiguer l’obscénité des hommes. »

Le diable se propose d’introduire le fameux poison dans une créature d’une exceptionnelle beauté dont il sera le père… Après bien des recherches, c’est finalement Salomé qui est choisie, car elle a fait couper la tête du seul homme qu’elle aimait. Le diable l’emmène dans sa chambre et de leur union va être conçue La Femme ; il faut noter que les très rares fois où il a la parole, Jésus est appelé L’Homme. La Femme, créée par le diable, est merveilleusement belle.

« Telle est la force du venin renfermée dans ses veines que celui qui l’aura touche quinze jours après aura les yeux comme billes de verre, ses pensées mêmes coaguleront, il bâillera après l’espoir comme une carpe desséchée. Six semaines après, contemplant son corps il se demandera : est-ce moi ? Ses cheveux, ses cils tomberont, ses dents aussi ; ses mâchoires, ses articulations deviendront branlantes. Au bout de trois mois, toute sa peau sera trouée comme une passoire et il ira lécher les vitrines pour voir s’il n’y a pas moyen de s’acheter une nouvelle peau. Non seulement, le désespoir pénétrera dans son cœur, mais lui coulera encore par le nez sous la forme d’une gourme puante. Ses amis se dévisageront l’un l’autre et celui qui en sera à la première phase se moquera de celui qui en sera à la troisième ou à la quatrième. 

Au bout d’un an, son nez tombera dans sa soupe ; il ira s’en acheter un autre en caoutchouc, puis il changera d’appartement, de métier, il deviendra compatissant et sentimental, il ne fera pas de mal à une mouche, il se fera moralisateur, jouera avec les insectes dans le soleil, enviant le sort des jeunes arbres au printemps. S’il est protestant, il se fera catholique, et inversement. Au bout de deux ou trois ans, son foie et ses autres glandes seront comme des pavés dans son corps, il pensera aux nourritures légères. Puis, il aura des picotements dans un œil. Trois mois plus tard, l’œil se fermera. 

Au bout de cinq ou six ans, son corps se mettra à tressaillir et à flamber comme un feu d’artifices ; il pourra encore marcher et regardera avec inquiétude s’il voit encore ses pieds sous son corps. Quelque temps plus tard, il préférera garder le lit, car la chaleur lui fera du bien. Au bout de huit ans, un beau jour, il s’enlèvera un os de son propre squelette, il le flairera et le jettera avec horreur dans un coin. Alors, il deviendra pieux, très pieux, toujours plus pieux, il aimera les volumes en maroquin, dorés sur tranches et pourvus d’une croix. Dix ans après, squelette pourri, il sera cloué sur son lit, la gueule ouverte vers le plafond, s’interrogeant sur le pourquoi des choses, et enfin, il mourra. »

Le dernier acte se déroule chez le pape Alexandre VI, à Rome, alors le Paradis des Putains. Visiblement, le pape donne l’exemple, mais l’ambiance qui était celle d’une honnête partouze se transforme en rut quand arrive « la Femme » qui accomplit là sa première mission destructrice. Comme il se doit, c’est le pape qui sera le premier servi, mais qu’on se rassure, il y en aura pour tout e monde, ainsi que l’annonce le Diable qui, au petit matin, attend sa créature, un peu fatiguée par cette première nuit : 

« Et maintenant, chez les cardinaux, puis les archevêques, puis les légats, italiens puis étrangers, puis chez le camerlingue, puis les neveux du pape et puis la tournée de tous les couvents, et enfin le reste de la racaille humaine. Au trot et tâche de respecter la hiérarchie. »

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