Source :
Le Mal de Naples (4) : histoire de la syphilis par Claude Quétel, éditions
Seghers, collection Médecine et Histoire.
Ulrich von Hutten naquit en 1488 dans un sombre château
de Franconie. Destiné à la carrière ecclésiastique en raison de sa nature frêle
et délicate, le jeune Ulrich, qui avait du caractère, prit la fuite et commença
dès seize ans une vie d’aventures. Ceci ne l’empêcha pas de poursuivre des
études et d’être reçu maître ès arts en 1506. Ecrivant des poèmes et des essais
politiques, il vagabonda à travers l’Europe, défendant parfois la veuve et
l’orphelin, mais troussant plus souvent encore le cotillon. C’est à ce dernier
sport qu’il contracte la vérole.
Hutten, à l’instar de Grumpeck, son compatriote,
raconte sa maladie dans un ouvrage qui va connaître un succès considérable en
raison de son contenu résolument thérapeutique mais aussi de sa sincérité et de
ses critiques. « La Providence, écrit Hutten, a permis que, de notre temps
on vît surgir des maladies inconnues à nos ancêtres. Ce fut environ vers l’an
de Jésus-Christ, 1493, qu’éclata ce mal pestilentiel ; ce n’est pas qu’en
France, mais dans le royaume de Naples qu’il fit explosion… »
En luthérien convaincu et militant qu’il est, Hutten
commence par régler ses comptes avec l’Eglise, se moquant des prêtres qui en
chaire disent que ce fléau a été envoyé par Dieu pour punir les hommes de leur
perversité. Pourquoi n’y aurait-il pas de maladies nouvelles, se développant
par la seule force de la nature ? Mais, pour Hutten, les médecins ne
valent guère mieux. Ils ont fui la présence des malades car « du
commencement que la maladie régna, elle était remplie de si grande puanteur que
l’on estime que celui qui a maintenant cours n’est pas d’un même genre. Les
plaies et les ulcères se formaient en espèce et grandeur de glands de chêne,
desquels sortait une humeur vilaine et rendaient telle puanteur que celui qui
avait senti l’odeur était estimé infecté de ladite maladie. La couleur des
bubons était entre vert et noir et ce spectacle désolait les patients plus que
la douleur qu’ils ressentaient, bien que celle-ci fût la même que s’ils eussent
été au milieu des flammes. »
Le mal, poursuit Hutten, s’est répandu en Allemagne,
plus rapidement et plus violemment que partout ailleurs du fait de nos
habitudes d’intempérance. Les astrologues avaient prédit que le fléau ne
durerait que sept ans. Ils se sont trompés. Toutefois, il est vrai que la
maladie s’est atténue : la puanteur n’est plus telle et les ulcères ne
sont plus si apparents, ni si durs, mais le « venin » persiste et
s’infiltre dans l’organisme où il engendre des maladies nombreuses…
Les observations de Hutten sur les stades de la maladie
rejoignent celles des médecins de l’époque, à quelques nouveautés près :
« Il persiste à l’intérieur des parties honteuses, chez les femmes, des
érosions, qui sont longtemps un aliment d’une virulence surprenante ;
elles sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont moins apparentes aux yeux de
ceux qui veulent cohabiter avec des femmes en toute sécurité. Et c’est pour
cette raison que cet accident est très pernicieux, parce qu’il est impossible,
à cause de ces érosions, d’éviter la maladie, alors que le corps des femmes de
cette sorte est parfois très infecté. »
Le chevalier revient bientôt à sa propre maladie pour
déplorer l’ignorance des médecins ; ces derniers ayant fui, les
chirurgiens ont pris leur place et recoururent aux caustiques pour brûler les
ulcères. Quelques-uns employaient des onguents à base de mercure et
frictionnaient leurs patients plusieurs fois par jour, les enfermant dans une
étuve brûlante. Abcès dans la gorge, gencives tuméfiées, chute des dents, flots
de salive nauséabonds, beaucoup de malades préféraient la mort à ce procédé qui
ne guérissait qu’un sur cent. « Qu’on juge, commente Hutten, ce que j’ai
supporté dans cette détresse, ayant subi onze fois ce traitement. J’ai vu un
guérisseur faire périr trois pauvres artisans dans une étuve où il avait
recommandé de pousser la température. Ces malades, convaincus que plus la
chaleur supportée serait grande, plus la guérison serait sûre et prompte,
avaient été étouffés sans prendre conscience de leur funeste sort. J’en ai vu
d’autres dont la gorge ne permettait plus le passage des mucosités purulentes
qu’il leur fallait expectorer ; ils se débattaient dans les horreurs d’une
atroce agonie, suffoqués par les humeurs corrompues. »
Ulrich von Hutten mourut à trente-cinq ans, en 1524, sans qu’il soit certain que ce fut des suites de la vérole, mais l’expérience de la maladie et plus encore son spectacle sur les autres, l’avait profondément éprouvé. La religion réformée, qu’il avait embrassée aussitôt, lui fut d’un grand secours. « La destinée, écrivait-il peu de temps avant sa mort, va cesser de me poursuivre. Mon unique consolation est que j’ai un courage égal à mes malheurs. »
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