Il y a déjà eu d’autres films qui traitaient de cette indistinction croissante entre le réel et le virtuel… Matrix vaut surtout comme synthèse paroxystique de tout ça. Mais le dispositif y est plus grossier et ne suscite pas vraiment le trouble. Ou les personnages sont dans la Matrice, c’est-à-dire dans la numérisation des choses ; Ou ils sont radicalement en dehors, en l’occurrence à Zion, la cité des résistants. Or, ce qui serait intéressant, ce serait de montrer ce qui se passe à la jointure des deux mondes. Mais ce qui est avant tout gênant dans ce film, c’est que le problème nouveau posé par la simulation y est confondu avec celui, très classique, de l’illusion qu’on trouvait déjà chez Platon. Là, il y a un vrai malentendu.
Le monde conçu comme illusion radicale, voilà un problème qui s’est posé à toutes les grandes cultures et qu’elles ont résolu par l’art et la symbolisation. Ce que nous avons inventé, nous, pour supporter cette souffrance, c’est un réel simulé, un univers virtuel d’où est expurgé ce qu’il y a de dangereux, de négatif, et qui supplante désormais le réel, qui en est la solution finale. Or, Matrix participe complètement de ça ! Tout ce qui est de l’ordre du rêve, de l’utopie, du fantasme y est donné à voir « réalisé. » On est dans la transparence intégrale. Matrix, c’est un peu le film sur la Matrice qu’aurait pu fabriquer la Matrice.
Jean Baudrillard : Entretiens
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