Source : Enquête sur le satanisme (8), par Massimo Introvigne, éditions Dervy, Bibliothèque de l’Hermétisme.
Il y a un autre passage de Crowley qui a fourvoyé plusieurs générations d’anti-satanistes et qui mérite un commentaire. Parlant du « sacrifice de sang », Crowley affirme « qu’un enfant mâle parfaitement innocent et de haute intelligence est la victime la plus satisfaisante et le plus appropriée. » Le Livre de la Loi, lui aussi, inciterait à sacrifier des enfants. Mais ceux qui l’interprètent de la sorte n’ont pas prêté attention à une note de bas de page de Crowley dans Magick, note qui nous apprend qu’il aurait « accompli ce sacrifice particulier en moyenne cent cinquante fois par an entre 1912 et 1928. »
Quand on replace cet extrait dans son contexte et que l’on tient compte des commentaires contenus dans les instructions pour les huitième et neuvième degrés de l’O.T.O., la conclusion est claire : le « sacrifice de l’enfant mâle » n’est autre que la masturbation, suivie de la consommation du sperme dans une boisson appelée Amrita, sur laquelle Crowley a écrit tout un livre, sans bien expliquer, dans ce texte ce qu’est l’Amrita, dont il décrit les usages alimentaires et même cosmétiques, tant et si bien qu’un lecteur naïf peut aisément être trompé.
Il est évidemment plus facile d’admettre la possibilité de cent cinquante masturbations par an sur une période de seize années que cent cinquante sacrifices sanglants qui auraient échappé aux policiers qui surveillaient d’ailleurs Crowley dans les différents pays où il séjournait, ainsi que certains de ses anciens adeptes devenus ses ennemis et qui l’accusèrent de toutes les turpitudes, mais jamais de sacrifices humains.
La suite de la note de bas de page sur les « cent cinquante sacrifices en moyenne par an » est du reste encore plus intéressante. Crowley écrit : « Il faut opposer à cela Là-Bas de Joris-Karl Huysmans, où est décrite une forme pervertie de magie d’un ordre analogue. » Dans cette note, ou plutôt cette moitié de note, mais que Crowley jugeait fondamentale pour comprendre sa pensée, nous voyons comment Crowley se situait par rapport aux satanistes avec lesquels Huysmans était entré en contact. Ceux-ci, du point de vue strictement technique, étaient en possession d’une magie au moins « analogue » à celle que Crowley estimait vraie et valable : analogue dans l’usage du nom de Satan, dans l’adaptation de certaines formes liturgiques, et surtout, dans l’usage de la sexualité à des fins magiques.
Mais pour Crowley, l’aspect « dégénéré » des satanistes réside dans leur cadre de référence : dans le fait, précisément, qu’ils considèrent Satan comme une personne et qu’ils l’adorent, prenant au sérieux la version chrétienne du rôle du démon. Il faut rappeler que Crowley a passé à Paris des périodes importantes de sa vie, qu’il a probablement connu, sinon Huysmans, du moins Jules Bois, qui avait été initié à la Golden Dawn au sein même de l’obédience à laquelle Crowley avait appartenu…
S’il arrivait parfois à Crowley de se définir comme le « serviteur de Satan », il précisait bien que cela n’impliquait pas une croyance de sa part. Les noms « diable » et « Satan » avaient pour lui un sens positif pour désigner le Soleil dans le macrocosme et le phallus dans le microcosme : « ceux qui ont peur du Diable, suggère très psychanalytiquement Crowley, ont en fait peur du phallus. »
Dans cet « athéisme magique », Satan et Lucifer, entre lesquels Crowley hésite à distinguer, représentent la rationalité de l’homme qui est dieu en tant que négateur de Dieu et maître du bien et du mal, par-delà les limites supposées du « périmètre imbécile de l’Eden. »
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