Source : Enquête sur le satanisme (10), par Massimo Introvigne, éditions Dervy, Bibliothèque de l’Hermétisme.
L’influence la plus profonde d’Anton LaVey fut celle d’Ayn Rand (1905-1982), même s’il est probable qu’ils ne se rencontrèrent jamais. Ayan Rand, pseudonyme d’Alice Rosenbaum, naquit dans une famille juive de Russie. Elle parvint à s’enfuir d’Union soviétique en 1924, dans des circonstances rocambolesques. Elle allait devenir très anticommuniste, écrire des romans à succès et développer « l’objectivisme », une philosophie politique radicalement individualiste, qui dresse l’apologie du capitalisme et de l’homme égoïste qui, au lieu de se sacrifier pour les autres, affirme — contre les entraves que constituent l’étatisme, le moralisme et les religions — son absolue liberté et qui, ainsi faisant finit par construire une société meilleure et plus libre pour tous.
Bien que la plupart des lecteurs ne connaissent Ayn Rand que pour ses romans, et pour les films qui en furent tirés comme The Fountainhead avec Gary Cooper, l’écrivain a toujours affirmé que les héros de ses ouvrages littéraires étaient surtout destinés à devenir les porte-parole convaincants de l’objectivisme. Les objectivistes de stricte obédience forment aujourd’hui un petit groupe qui vit dans le culte d’Ayn Rand, mais un bon nombre de ses élèves et disciples ont occupé et occupent encore des positions très importantes dans les institutions publiques américaines.
La parution en 1986 de la biographie écrite par son élève Barbara Branden, suivie de la réponse du mari de l’auteur Nathaniel Branden, a pour sa part jeté un éclairage nouveau sur la vie privée d’Ayn Rand. Son « objectivisme » s’y traduisait par une expérimentation radicale, y compris sur les plans sexuel et familial, à travers des formes de polygamie et de polyandrie au sein du petit groupe qui dirigeait le mouvement politique et littéraire qu’elle avait créé.
Mais si Ayn Rand a appris un jour qu’elle avait, par certains côtés, inspiré le satanisme contemporain et d’autres mouvements néo-païens, elle dut éclater de rire. En effet, elle se considérait comme « l’une des personnes les plus athées ayant jamais existé. » Réfléchissant en 1968 au succès du film The Fountainhead, elle paraissait surtout soucieuse d’une phrase pouvant laisser à penser que son personnage Howard Roark aurait quelque sympathie ou égard pour la religion. Elle concluait en déclarant que l’athéisme de Roark ne faisait aucun doute, pas plus que sur le sien.
Pour Rand, la religion a seulement « dégradé l’homme » ; elle n’est au mieux qu’une « forme primitive de philosophie », destinée à disparaître avec l’affirmation progressive d’une pensée philosophique non idéologique. Ayn rand entendait substituer à la religion détestée un « culte de l’homme » comme moyen de « racheter le plus haut niveau des émotions humaines de la boue du mysticisme et les diriger de nouveau vers leur objet propre : l’homme lui-même. » Elle écrivait aussi : « Les adorateurs de l’homme, au sens que je donne à cette expression, sont ceux qui voient le potentiel le plus élevé de l’homme et qui luttent pour le réaliser, ceux qui consacrent leur vie à l’exaltation de l’estime que l’homme a de lui-même et au caractère sacré de son bonheur sur la terre. »
Naturellement, Ayn Rand ne pensait pas du tout que son culte de l’homme puisse s’exprimer dans une liturgie ou cérémonielle. Au nom de la science et du progrès, elle méprisait la magie non moins que la religion, et ne s’intéressait pas particulièrement à Satan. Mais tout cela ne peut nous empêcher de constater que le « culte de l’homme » cher à Rand est extrêmement proche de l’Eglise américaine de Satan.
Si l’on supprime le nom Satan des « neuf principes » prônés par LaVey, on est incontestablement en présence d’un culte de l’homme, ou d’un surhomme arrogant qui se glorifie de son orgueil. Ces « neuf affirmations sataniques » on tout simplement été empruntées par LaVey au personnage de John Galt qui, dans un des plus célèbres romans de Rand, Atlas Shrugged, sauve le monde grâce à son égoïsme forcené… En 1970, LaVey fait publier l’ouvrage destiné à rester son livre principal : The Satanic Bible, dans lequel il est très peu question de magie, mais d’une vision du monde qui exalte le capitalisme, l’orgueil du fort qui prévaut sur le faible, l’émancipation de toutes les religions, en un mot, selon le slogan le plus populaire de l’Eglise de Satan, « l’indulgence contre l’abstinence. »
Dès le début, quand LaVey réussit à faire venir de très nombreux journalistes dans sa « maison noire » de California Street, ils ne savaient pas s’ils devaient rire ou le prendre au sérieux.
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