Charlie Hebdo


Source : Enquête sur le satanisme (9) par Massimo Introvigne, éditions Dervy, collection Bibliothèque de l’Hermétisme.

Lors du procès de Charles Manson, le procureur Vincent Bugliosi, qui avait suivi plusieurs pistes, finit par conclure que les homicides répondaient à la folle théorie de l’Helter Skelter : en tuant de riches Blancs avec des techniques semblables à celles du terrorisme noir, et en faisant retomber la faute sur ce dernier, Manson et les siens pensaient déclencher la guerre civile entre Blancs et Noirs. Ils escomptaient une destruction des premiers et un triomphe des seconds qui, incapables de gouverner seuls les Etats-Unis, auraient fini par s’adresser à Manson, théoriquement à l’abri dans un refuge du désert, pour qu’il les guidât. Manson a confirmé qu’il avait agité des idées racistes et le fantasme d’une guerre civile pour fournir des motivations à son groupe, entièrement composé de Blancs, mais a également déclaré n’avoir jamais cru à la théorie de l’Helter Skelter, définie dans les termes de Bugliosi. 

Manson insistait plus prosaïquement sur le fait que les homicides Tate et LaBianca furent commis pour tenter de disculper son disciple Beausoleil de l’homicide Hinman qui à son tour répondait à la logique tristement habituelle du trafic de drogues, où les tentatives pour flouer un complice se paient par la mort. En fait, bon nombre de théories les plus extrêmes de Manson et la plupart de ses poses de gourou ou de messie datent d’après son arrestation. Manson semble avoir endossé le costume de héros et de messie folklorique que la presse et la contre-culture lui ont taillé. Il s’est aussi identifié à « Khrisna Venta », Francis Penovic 1911-1958, un ancien détenu qui avait fondé en Californie une commune, The Fountain of the World, se proclamant « le Christ éternel », avant de se faire sauter avec ses disciples qui résistaient à la police en 1958. Il est cependant difficile d’établir si cette identification s’est poursuivie avec constance dès avant ou seulement après l’arrestation de Manson en 1967. 

Manson est un produit de la drogue et d’une vie brûlée au sein du système carcéral, à l’enseigne de la violence et du mépris de toute norme éthique. On ne peut pas non plus exclure qu’il ait été victime de projets mis en œuvre au sein des prisons et dans le monde hippie de Haight Ashbury par les services secrets américains. Ceux-ci entendaient vérifier les effets hallucinogènes en vue d’un possible usage militaire de certaines drogues pour créer des troupes d’assaut parfaites, dépourvue de remords et de conscience. Il se peut qu’une certaine littérature ait exagéré la portée de ces projets, mais il est certain qu’ils furent poursuivis avec sérieux par les services nord-américains qui avaient accepté la théorie du lavage de cerveau et pensaient pouvoir s’en servir au profit de l’Etat et de l’armée. L’anthropologue Sherill Mulhern, bien que notoirement sceptique en la matière, écrit « qu’à partir des années cinquante, plus de cinq millions de dollars de subventions fédérales furent mis à disposition des scientifiques spécialistes du comportement pour encourager la recherche fondamentale sur tous les aspects du contrôle de l’esprit humain. 

Par ailleurs, il faut expliquer pourquoi Manson a pu recruter des disciples, des hommes mais majoritairement des femmes, en quelques mois seulement et avec une relative facilité. Le phénomène Manson ne peut être compris sans une réflexion sur la sous-culture hippie et sur la tentative de milliers de jeunes Américains de se regrouper en communauté, à l’enseigne de la révolution sexuelle et de la drogue en vente libre, dans des squats, à la campagne ou encore de ville en ville à la manière des bikers. Haight Ashbury, en particulier, a été évoqué par ceux qui ont étudié le cas Manson comme une sorte d’enfer où la police n’osait pas s’aventurer, et Manson a lui-même contribué, dans ses mémoires, à dresser ce tableau. Pour la contre-culture californienne, qui a aujourd’hui conflué dans une large mesure au sein du New Age, Haigh Ashbury reste au contraire un paradis, un Eden mythologique qui sert de référence comme modèle d’une nouvelle société. On peut percevoir cette idéalisation dans la réimpression en 1991 du légendaire journal « The San Francisco Oracle », qui parut de septembre 1966 à février 1968. 

La plupart des articles revendiquent la liberté de se droguer, de vivre une sexualité sans contraintes morales, de refuser le service militaire. Mais la recherche d’alternatives s’étend aussi à la religion, avec le mythe de l’Orient, mais également la promotion de personnages comme Kenneth Anger, et à une critique corrosive de l’idée même de morale. Inévitablement, ce climat devait finir par créer une réalité extrêmement perméable où, à côté des idéalistes, petits et grands délinquants allaient pouvoir s’infiltrer facilement. De nombreux jeunes passèrent de larcins pour se procurer de la drogue à des délits plus graves… Quand on songe qu’à côté des revendeurs de drogue, dans Haight Ashbury circulaient aussi des docteurs Folamour des services secrets américains, désireux de tester les effets de la drogue sur les jeunes, on n’a pas de mal à comprendre la mentalité des disciples de Manson… 

Somme toute, les relations de Manson avec le satanisme ne sont pas inexistantes, mais ténues, mais il est certain que presque tous les « tueurs en série » des Etats-Unis, un type de criminel devenu courant après 1970, l’ont idolâtré et considéré comme un modèle. Il est certain aussi que Manson, ou son mythe, perpétué par une contre-culture favorable et une presse à sensation hostile, est devenu une référence pour le satanisme dit « acide », c’est-à-dire sauvage, en dehors de tout contact avec les organisations de « satanisme officiel » comme l’Eglise de Satan de LaVey… 

Mais avant de parler de meurtres « inspirés par Manson », il convient de rester prudent, car, si l’on examine chacun de ses cas, on s’aperçoit que le culte de Manson comme héros négatif, lorsqu’il n’est pas simplement utilisé par les avocats de ces jeunes pour faire passer leurs clients pour des déséquilibrés, est toujours mêlé à la drogue et, souvent, à des histoires sordides de vengeance entre revendeurs et criminels.

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