Note de lecture sur La Sphère et la Croix par Gilbert Keith Chesterton.
Il existe deux sortes d’écrivains catholiques : les tourmentés, dont Bernanos mènerait la cohorte de flagellants et les débonnaires, en tête desquels marcherait, débraillé, Chesterton.
Son roman-feuilleton La Sphère et la Croix appartient à la descendance de la croisade des idiots inaugurée par Miguel de Cervantès.
Un libraire athée et un illuminé christique, incapables de faire la paix, se défient en duel. Leurs escarmouches provoquent un tel tapage que la justice et la police s’en mêlent. Les deux bretteurs prennent la fuite, se jurant de reprendre leur duel dès que possible.
Ils rencontrent différents types : le pacifiste, le nietzschéen — un portrait très réussi — avant de chevaucher un mur, tels leurs lointains prédécesseurs, Sancho et le Quichotte sur le destrier Chevillard.
De même que Chevillard n’était qu’un piège, le mur visait à précipiter les deux gêneurs dans un jardin truqué — on y entre facilement, mais nul ne peut en sortir.
Le premier indigène qu’ils y rencontrent, un gentleman à binocle et chapeau de paille, s’étonne de ne pas être reconnu : « Mais enfin, je suis Dieu ! » Un autre surgit et se prétend le roi Edouard VII. A ces mots, Dieu se tourne avec un clin d’œil vers les deux héros : « Ne prêtez pas attention, il est fou… mais dans ma situation, on a affaire à tant de gens qu'il faut avoir l'esprit large. »
Le plus fou au jardin des délices ? Un homme qui prétend qu’un triangle peut comporter un quatrième côté, que le progrès avance indéfiniment, que Dieu lui-même est perfectible, que les enfants ne doivent pas être éduqués par leurs parents…
Ce grand architecte des lunatiques est évidemment le médecin-chef. Parodie d’omniscience : il détient des dossiers sur tout le monde. Sortir de l’asile ? La sortie mène à l’intérieur… Le monde est devenu un hôpital psychiatrique. Désormais, il faut démontrer qu’on est sain d’esprit et non l’inverse.
Comme ce comique paraît aujourd’hui agréablement suranné… Au contraire de nos humoristes, Chesterton ne verse ni dans la mièvrerie, ni dans le sadisme et son rire comporte une réflexion métaphysique. Sous une apparente désinvolture et malgré certaines faiblesses, son roman s’inspire d’un humanisme authentique et non encore corrompu, celui d’Erasme qui affirmait : « Il y a de la folie dans la sagesse, de la sagesse dans la folie et la sagesse ultime est la folie de la croix. »
Dans cette dialectique, la sphère et la croix, le monde et la foi, s'entre-appartiennent. La sphère sans la croix ou la croix sans la sphère sont deux cauchemars inspirés par l'enfer. Le prince du paradoxe, comme le surnommait Borges, ajouterait que toute religion commence par secréter ses fanatismes, puis par engendrer un athéisme qui en conserve la marque en creux.
Ainsi, la Terreur révolutionnaire du 18e siècle et la Terreur communiste du 20e siècle exprimèrent chacune à leur façon l’athéisme issu des deux premiers monothéismes. Néanmoins, l'athéisme européen actuel diffère totalement des époques antérieures.
Tel Janus, il présente deux faces : d'abord, un visage d'indifférence, la spiritualité contemporaine se dissolvant dans le libéralisme... L'autre visage, celui-là secret, correspond à un programme sans équivalent hormis peut-être dans la fiction d’Aldous Huxley. Cet athéisme nocturne vise à remodeler biologiquement l’humanité au profit d’une oligarchie d’initiés malfaisants... et incultes. Il suffit de voir les émissions de RTL ou de la RTBF pour deviner les goûts de ceux qui nous dirigent.
Reste à savoir enfin quel athéisme surgira du troisième monothéisme, l’Islam… pour l’heure, il en est encore au premier stade de la dialectique.
Commentaires
Enregistrer un commentaire