« La Pologne n’a pas encore péri »


Pris sur Doorbraak. La Pologne n'a pas encore péri, par Paul Cordy, traduction du néerlandais par Nedotykomka. 

Alors que le Onze novembre, en de nombreux pays européens est un jour de commémoration de la Grande Guerre, cette date correspond en Pologne à la fête nationale et cette année, au centenaire de l’indépendance nationale. Cette indépendance fut conquise sur le déclin des trois empires qui avaient jusque-là occupé et divisé la Pologne. L’Allemagne capitule le 11 novembre, l’Autriche-Hongrie ne se survit plus que formellement et la Russie vient de sombrer dans la guerre civile. Plus rien n’empêchait l’émergence d’une république polonaise. 

Les origines de la « nouvelle république » remontent à la fin de l’an mille de notre siècle. A partir du Moyen Age, le pays était devenu une grande puissance régionale qui devait s’unir en 1569 à la Lituanie. La « République des deux nations » s’étendait de la Baltique jusqu’à la Mer noire. Vers cette époque, la Pologne connut l’apogée de sa Renaissance, avec la création de l’Université Jagellon à Cracovie, un des plus importants centres intellectuels européens d’alors. 

Plusieurs décennies d’isolement communiste ont longtemps obscurci notre regard sur l’Europe centrale et nous oublions souvent qu’un pays comme la Pologne fait indissolublement partie de notre culture occidentale. [note : les éditeurs, grassement subventionnés par Bruxelles, feraient mieux de s’en inspirer au lieu de nous proposer des traductions de romans policiers américains.] 

Bien avant cette époque, la Pologne jouissait d’un système politique unique. De facto : une monarchie constitutionnelle où l’aristocratie (la Szlachta) exerçait un pouvoir considérable grâce au parlement et possédait même plus de poids décisionnel que le Prince élu par les nobles. Néanmoins, ce mode de gouvernement fragilisa aussi le pays au fil du temps. Surtout quand les nobles se perdaient en rivalités qui les empêchaient de défendre leurs intérêts contre les puissances étrangères. 

Ainsi, la Pologne fut souvent entraînée dans les guerres que se menaient ses puissants voisins suédois, russes, autrichiens. Pour préserver l’unité du pays, la Pologne entreprit au cours du 18e siècle une grande série de réformes qui aboutirent à la constitution de 1791. La Pologne fut le premier pays européen doté d’une constitution moderne. Hélas, il s’ensuivit une encore plus forte immixtion des puissances limitrophes qui décidèrent, à l’initiative de la Prusse, de diviser le pays. Ce furent les tristement célèbres partages de 1772, 1793, 1795, par la Prusse, la Russie et l’Autriche. Le Royaume de Pologne disparut complètement de la carte. 

Si la Pologne avait virtuellement disparu, le nationalisme ne s'éteignit pas pour autant. Au cours du 19e siècle, de nombreuses insurrections se produisirent, sans pour autant mener à un résultat. A l’aube de la Première Guerre mondiale, les mouvements nationalistes connaissaient de profondes divisions. Il existait beaucoup de groupuscules paramilitaires, entre autres sous le commandement de Joseph Pilsudski. 

Durant la Grande Guerre, les unités polonaises furent dissoutes et incorporées à l’armée austro-hongroise : l’Etat-major allemand fit arrêter et enfermer Pilsudski à Magdebourg car il refusait de placer ses soldats sous leur commandement. Cet enfermement, survenu tardivement en novembre 1918, transforma Pilsudski en symbole du nationalisme polonais. Par la suite, dans l’entre-deux-guerres, il devint une figure politique de premier plan. 

La refondation de l’Etat polonais ne se déroula pas sans mal : les frontières étaient incertaines, ce qui nécessitait une consultation par une série de référendums, suivie de signatures de traités. La frontière à l’ouest ne prit forme qu’après une guerre sanglante contre les bolcheviques russes. Les Polonais, éreintés, obtinrent une victoire inattendue à Varsovie. De justesse, ils évitèrent un effondrement général et une nouvelle occupation russe. 

L’établissement des frontières était une chose, la reconstruction de l’Etat en fut une autre, encore plus difficile. Au cours des partages successifs, les régions avaient atteint des niveaux de développement très hétérogènes. Dans la partie occidentale, la polonité était encouragée et la Prusse avait favorisé l’épanouissement économique. 

En revanche, la Pologne russe ne disposait pas d’une administration centralisée, ni d’un système juridique unifié, encore moins d’un réseau d’enseignement, ni d’organisation culturelle, de monnaie ou de banque nationale. Fait remarquable : faute d’une standardisation adéquate, les voies de chemins de fer n’avaient pas toutes les mêmes dimensions, ni les mêmes équipements, n’étaient pas reliées entre elles, et ne connectaient que les villes centrales de Pologne aux villes sous occupation russe. 

D’unité ethnique, il n’était pas question non plus. La Pologne comptait de nombreuses minorités et leur statut respectif allait entraîner des débats passionnés au cours des deux décennies suvantes : fallait-il poloniser tout le monde ou accorder des facilités ? Ces polémiques contribuaient à l’instabilité politique et finalement, la Pologne de Pilsudski évolua d’une démocratie dysfonctionnelle à un régime autoritaire, sous commandement militaire. [note : Pilsudski n’était pas un fasciste et s’il fallait le comparer, ce serait à De Gaulle ou à Josip Broz, alias Tito] 

Au départ, Pilsudski considérait la Pologne comme une grande puissance régionale qui devait former la base d’une collaboration diplomatique en Europe centrale. Il en fut autrement. Le manque d’habilité diplomatique, les conflits frontaliers et les problèmes communautaires empoisonnèrent les relations avec les pays voisins. La Pologne, prise en tenailles entre l’Allemagne et la Russie, voyait avec angoisse l’étau se resserrer sur elle. Le pacte de non-agression que la Pologne avait conclu entre les deux blocs ne tiendrait pas longtemps. La Pologne se retrouva de plus en plus isolée, et n’avait plus que la France comme lointain et réticent interlocuteur. 

Lorsqu’enfin l’Allemagne hitlérienne et l’U.R.S.S. unirent leurs forces, les jours de la Pologne étaient comptés. En septembre 1939, les deux puissances attaquèrent la Pologne et début octobre, le pays était à nouveau balayé de la carte. Au terme de six ans de guerre, avec des millions de morts et des destructions inimaginables, la Pologne réapparut comme un état vassal de l’Union Soviétique, qui plus est, amputée de plusieurs centaines de kilomètres à l’Ouest de ses frontières, sans plus de considérations diplomatiques. 

Le pays ne devait retrouver sa liberté qu’en 1989. L’histoire récente constitue encore aujourd’hui un traumatisme dont il faut tenir compte si l’on souhaite comprendre la Pologne actuelle.

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