Ill. : L'Astronome Copernic en conversation avec Dieu (1872) par Jan Matejko.
Pris sur Culture.pl. Copernic, l’homme de la Renaissance par Marek Kępa, traduit de l’anglais par Nedotykomka, tous droits réservés.
La ville historique de Torun s’érige sur les bords de la Vistule, à 150 kilomètres du nord-ouest de Varsovie, au milieu du Voïvode de Couïavie-Poméranie, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Jadis, cette région faisait partie de la Prusse et était peuplée depuis le Moyen Âge par le peuple balte des Vieux-Prussiens, ou Borus, restés païens. Au début du 13e siècle, le prince polonais Conrad de Mazovie implora l’aide des Chevaliers teutoniques pour repousser les Vieux-Prussiens, venus des frontières nordiques… ce qui n’eut guère l’effet escompté puisque les Chevaliers teutoniques conquirent la Prusse et s’y installèrent ce qui redéfinit l’identité des populations présentes en un amalgame de Polonais, de Prussiens et d’autres influences germaniques. En 1233, les Chevaliers teutoniques fondèrent Torun et il ne faudrait pas attendre longtemps avant que n’éclate l’hostilité entre les Polonais et l’Ordre créé par Frédéric de Souabe.
En 1454, une délégation de notables, la Confédération prussienne, refusa la domination de l’Ordre en raison des taxes trop lourdes et réclama de devenir sujets du roi polonais Casimir IV Jagellon et d’incorporer la Prusse à la Pologne. Une décision qui allait entraîner une vive résistance de la part des Chevaliers teutoniques. Une guerre de 13 ans s’ensuivit et les régions occidentales, ainsi que Gdansk et Torun, rejoignirent finalement la Pologne alors que l’Est demeurait sous domination teutonique.
Mikołaj Kopernik, alias Nicolaus Copernicus, et pour nous, Nicolas Copernic, naquit à Torun le 19 février 1473, sept ans après la fin de la guerre. Son père, un riche marchand également prénommé Nicolas, avait soutenu l’annexion de la Prusse par la Pologne et sa mère, Barbara, provenait de l’influente famille Watzenrode, tout aussi favorable à la polonisation. Cette famille aisée de quatre enfants, dont Nicolas était le cadet, possédait deux maisons, l’une sur la Place du Marché, que l’on peut encore visiter, et une autre dans ce qui s’appelle aujourd’hui la rue Copernic — c’est là que le créateur de la théorie héliocentrique vit le jour.
Copernic était-il allemand ou polonais ? Les deux nations se le disputent. Les Allemands prétendent qu’il s’exprimait dans leur langue et effectivement, il n’existe aucune trace écrite attestant d’une connaissance du polonais de sa part. De leur côté, les Polonais brandissent une lettre datée de l’année 1520 adressée au roi polonais Sigismond Ier dans laquelle l’astronome lui exprime sa dévotion en latin et effectivement, toute sa vie, il fut un sujet obéissant à sa Majesté. En fait, l’identité de Copernic, comme celle de ses contemporains, était double, à la fois germanique et polonaise.
Sa jeunesse reste un mystère. Dans son livre « Nicolas Copernic, esquisse d’un portrait », l’historien Janusz Mallek écrit : « Faute de sources concernant les années 1473-1491, nous ne savons pas grand-chose hormis qu’il suivit les cours à l’école paroissiale de Torun, à la Basilique Saint-Jean-Baptiste, soit à quelques mètres de son domicile. » Reçut-il une autre forme d’éducation avant de rejoindre l’université de Cracovie, alors capitale de Pologne ? Certains historiens prétendent qu’il aurait été l’élève de Michał Wodka, un médecin et astronome qui l’aurait encouragé.
« Si Torun m’a vu naître, c’est Cracovie qui a formé ma pensée », déclarait volontiers Copernic. A l’époque, les cours étaient dispensés en latin et l’université doutait déjà du modèle géocentrique hérité de Ptolémée. En 1493, dans sa Chronique du monde, l’historien allemand Hartmann Schedel écrivait qu’il n’existait pas d’école plus réputée de toute l’Europe.
En 1495, Copernic part étudier le droit à l’Université de Bologne qu’il rejoint un an plus tard. Il reste en Italie jusqu’en 1503, visite Rome, étudie la médecine à Padou, et obtient un diplôme de juriste à l’université de Ferrare, discipline pour laquelle il éprouve peu d’intérêt, mais qui lui permettra d’obtenir un poste au diocèse de Varmie, une fonction plus administrative que religieuse. Mais cet emploi lui assurera une indépendance financière pour poursuivre son éducation.
C’est probablement en Italie qu’il commença à traduire les lettres du courtier byzantin du premier siècle Théophylacte Simocatta — assez étrangement, il s’agit du seul livre dont on sait avec certitude qu’il l’ait publié de son vivant, à Cracovie, en 1509, alors qu’il s’agit de fictions humoristiques et moralisatrices. Pourquoi avoir si peu publié ? Peut-être parce qu’il doutait de ses propres découvertes. Plus vraisemblablement, le prudent Copernic ne souhaitait pas s’attirer les foudres de l’Eglise.
Dans son livre « Le Mystère solaire », Jeremi Wasiutyński suggère que Copernic ait pu faire partie d’une société secrète humaniste, comparable à la franc-maçonnerie, mais il n’en existe aucune preuve, hormis peut-être le sceau à l’effigie d’Apollon avec lequel il signait. Autre hypothèse invérifiable, son talent pour la peinture. Pierre Gassendi, le mathématicien et philosophe français, (1592-1655) écrivait à ce sujet : « On prétend qu’il a réalisé un autoportrait très ressemblant en se servant d’un miroir. Quand il voyageait, en particulier en Italie, il pensait pouvait exprimer tout ce qui valait la peine d’être observé en le représentant de la sorte. »
L’autoportrait qu’évoque Pierre Gassendi aurait été réalisé après le retour de Copernic en Pologne, en 1503 alors qu’il demeurait auprès de son ongle, au Château de Warmia, à Lidzbark. En fait, l’original fut perdu et nous n’en disposons que d’une copie de Tobias Stimmer qui enjolive le buffet de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. On y voit Copernic, un brin de muguet à la main, le symbole des médecins, son autre main reposant sur une inscription qui dit : « copie d’un autographon. » Aujourd’hui, la plupart des spécialistes s’accordent à penser que Copernic confirmait ainsi la ressemblance plutôt qu’il n’exécuta ce tableau en personne.
Nombreux furent ceux qui attribuèrent à Copernic des aptitudes en dehors de l’astronomie. Stefan Zeromski prétend qu’il composa un poème intitulé les « Sept étoiles », qu’il peignait, dessinait, pratiquait la musique et la sculpture. Malheureusement, aucune source historique ne l’atteste. En revanche, il fut bel et bien l’auteur d’une création « artistique » : il dessinait des cartes de la Prusse et de Varmie, talent qu’il partageait avec Bernard Waposki, le géographe de la première carte de la Pologne. Malheureusement, là aussi, les travaux de Copernic ont disparu, bien que ces plans aient été employés par les historiens de son époque ; toutefois, cet intérêt était bien plus scientifique qu’artistique.
Les conditions à Lidzbark s’avéraient peu compatibles avec ses préoccupations astronomiques : Copernic ne s’intéressait guère à ses fonctions de chanoine et d’autre part, il n’existait que peu de postes d’observation des étoiles, raisons pour lesquelles il émigra vers Frombork, où il s’installa dans la cathédrale, construite au sommet d’une colline et intégrée au site d’une basilique gothique remontant au 14e siècle. A ce sujet, Karol Gorski écrit : « Au pied de la colline, s’étendait une petite ville, bordée des eaux grises du lagon de la Vistule, avec au nord la crête noire d’une forêt de pins et plus loin encore, les scintillements de la Baltique. » Tel serait le panorama que Copernic contemplerait encore de longues années.
La modeste maison de l’astronome comprenait un jardin où s’érigeait une plateforme où il pouvait déployer ses instruments en dehors des murs et lorsque les invasions teutoniques détruisirent son observatoire, Copernic le déplaça dans un campanile. La Tour de Copernic, telle que nous la connaissons par le tableau de Matejko, réalisé en 1873, était en réalité trop étroite pour y loger tout son matériel.
La menace teutonique vint à nouveau troubler la paix civile : les soudards germaniques ne respectaient pas le traité de paix de 1466 et en 1519, la guerre éclata. A ce moment, cela faisait déjà trois ans que Copernic exerçait les fonctions d’administrateurs du diocèse de la ville d’Olsztyn, réfugié dans le château de la ville. Considéré comme le seul homme capable d’organiser ces temps difficiles, il s’acquitta de son devoir avec diligence, ce qui lui laissait moins de temps pour ses recherches scientifiques.
Lorsque les Chevaliers Teutoniques assiégèrent le château, Copernic refusa de se rendre et mena une farouche résistance, avec succès. Au cours de cette période, il écrivit une lettre souvent citée au roi Sigismond I dans laquelle il réclamait une assistance militaire : « Nous accomplirons notre devoir d’honnête homme, avec toute la noblesse qu’il requiert, dussions-nous payer le plus haut prix. » La mort plutôt que le déshonneur… Après une trêve en 1521, la guerre se termina en 1525 par des accords de paix favorables à la Pologne. Dès la fin de l’année 1521, Copernic revint à Frombork où il demeura jusqu’à sa mort, survenue le 24 mai 1543.
Au cours de cette période de détente, il entreprit de créer une monnaie unique, valable aussi bien dans la région teutonique que dans la région polonaise. La monnaie en circulation côté germanique était substantiellement moindre que du côté polonais, en raison du plus faible degré de développement économique. Grâce aux transactions commerciales, les pièces polonaises se retrouvaient en zone germanique où l’Ordre les fondait pour battre sa propre monnaie, dont l’alliage contenait moins d’argent, ce qui finit par provoquer une dévaluation et une grave crise économique. Un biographe de Copernic, Karol Gorski rapporte la citation suivante : « Quand une monnaie de qualité inférieure est préférée à une monnaie de qualité supérieure, elle dévalue non seulement la meilleure, mais elle l’élimine de la circulation. »
La mauvaise monnaie chasse la bonne... Cette intuition fondamentale de Copernic, également appelée Loi de Gersham, est aujourd’hui reconnue comme une loi élémentaire de l’économie et pendant une décennie, l’astronome consacra tous ses efforts à l’unification monétaire sans pour autant convaincre les notables. Finalement, une réforme partielle fut appliquée et Copernic, déçu, abandonna son projet en 1531.
Pour ses contemporains, Copernic était moins un astronome et encore moins un économiste qu’un médecin réputé et c’est seulement dans sa vieillesse qu’il se décida à publier son opus magnum révolutionnaire « De Revolutionibus », imprimé en mars 1543 à Nuremberg. La personnalité d’un jeune professeur de mathématiques de Wittenberg, prénommé Rheticus semble avoir joué un rôle dans cette résolution tardive. Le premier exemplaire imprimé parvint à Fornbork le jour même où Copernic s’éteignait et personne ne sait s’il eut le temps de le parcourir, de sorte qu’il disparut sans assister aux bouleversements que ses découvertes entraîneraient. L’univers allait changer de base ou plutôt de pivot, celui-ci se déplaçant de la terre au soleil.
« Parmi tous les arts et sciences que nous aimons et qui alimentent notre réflexion, une seule mérite selon moi le plus profond engagement, parce qu’elle procure les plus pérennes découvertes… Que peut-on imaginer de plus beau que de contempler le ciel, lui qui contient précisément toute source de beauté. »
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