« Bien creusé, vieille taupe »

 

Je vais sous terre, et là, je rencontre des gens d’une tout autre sorte : des gens murés, tombés dans une région d’humiliation et de honte et qui font de cette honte leur fierté, tombés hors de l’existence officielle et qui, pour ne pas y revenir, préfèrent vivre hors de l’existence, sans nom, sans jour, sans droit. Pour eux, ce que vous appelez la lumière juste, c’est la profondeur de la fosse, et ce qui est votre liberté est leur prison, et ils ne sont ni dévoués, ni travailleurs, ni bons, ils n’ont pas d’esprit civique, ils ne donnent rien à personne et ils ne répètent pas à chaque instant comme vous : ah, je voudrais vous aider, je voudrais vous éclairer. Ce qu’ils demandent, ce n’est pas d’être riches, c’est d’être pauvres contre vous, criminels contre vous. Et dans votre ruse et votre esprit de domination, cela aussi vous essayez de leur ôter. Voulez-vous savoir pourquoi je me suis intéressé à votre as, pourquoi j’ai finalement passé beaucoup de temps auprès d’un homme satisfait et loquace ? A cause de votre nom ? Peut-être, mais surtout, parce que vous êtes tellement inféodé à ce monde que même lorsque vos pensées deviennent tout à fait bizarre, elles vous sont encore dictées par lui, elles le reflètent, elles le défendent. Même votre maladie voudrait m’endoctriner. Oui, vous m’avez appris cela. C’est impressionnant. Cela en vaut la peine.

Maurice Blanchot : Le Très-Haut

Commentaires